DANS HABEMUS PAPAM, LE RÉALISATEUR DE CARO DIARIO MET EN SCÈNE UN PAPE -ADMIRABLE MICHEL PICCOLI- RECULANT DEVANT L’AMPLEUR DE LA TÂCHE. EXPLICATIONS.

Nanni Moretti se frottant à l’Eglise, et à la papauté en particulier, on comprend que la proposition ait suscité quelque émoi -en Italie, surtout, où la matière reste traditionnellement sensible. A l’arrivée, pourtant, Habemus papam (voir critique page 31) n’a rien de la charge satirique redoutée par les uns, espérée par les autres: « J’essaie d’éviter de raconter au public ce qu’il attend », explique volontiers l’auteur du Caïman. Avant d’ajouter, s’agissant des scandales qui ont agité récemment l’institution catholique: « Je n’aime pas faire de clins d’£il au spectateur en le revoyant à l’actualité. Je préfère ne pas me faire conditionner par elle. « 

Crise de foi

L’intérêt d’ Habemus papam se situe dès lors ailleurs. Moretti y met en scène une crise de foi débouchant sur un vide de pouvoir, le pape fraîchement élu hésitant devant le poids des responsabilités qui l’attendent. « J’ai lu que beaucoup de papes avaient confessé après coup s’être sentis perdus et avoir été gagnés par la panique lorsqu’ils avaient appris avoir été choisis. Ce qui m’a fait penser à ce sentiment d’inadéquation. J’ai aussi été frappé par le fait qu’en l’espace de quelques minutes, un homme, qui n’avait sans doute jamais été préparé à un tel changement, doit devenir l’incarnation de Dieu sur terre.  » Perspective objectivement paniquante, et dont le corollaire est ici une humanisation de la fonction, le réalisateur faisant vaciller le socle de l’infaillibilité papale: « J’ai voulu raconter l’histoire d’un homme qui a la force de dire non, poursuit-il. Et qui a la force de nous parler de ses problèmes, de ses dépressions, et d’accepter sa faiblesse, c’est tout. Il ne s’agissait pas d’assortir ce point de vue de déclarations tapageuses.  » Quant à son « salut », c’est dans les rues de Rome que le pape s’en va le chercher, en toute discrétion, et au contact de gens ordinaires -façon, encore, de désacraliser le pouvoir, en une démarche n’étant pas sans évoquer celle à l’£uvre dans The Queen ou The King’s Speech, 2 autres films traquant la vérité des êtres derrière le vernis de la fonction . « L’analogie est pertinente parce que ces films traitent des puissants avec respect et humanité », approuve Moretti.

Cela posé, l’ironie propre à l’auteur est bien présente dans le film, appliquée avec une certaine équanimité, puisqu’elle touche aussi bien à la psychanalyse -il n’a laissé à nul autre le soin d’interpréter le spécialiste appelé au chevet du pape- qu’à l’institution religieuse. Si Habemus papam n’est certes pas le Roma de Fellini, la balade dans les coulisses du Vatican n’en est pas moins colorée, entre une scène où l’on voit les cardinaux prier, dans un touchant ensemble, afin de ne pas être élus à la magistrature suprême, et celles où ils jouent au volley-ball (le water-polo étant hors de propos). Soit 2 exemples parmi d’autres, donnant à voir au public une assemblée finalement assez puérile: « Cela correspond juste à la façon dont je les envisageais dans le contexte de mon film, tempère le cinéaste. Je sais qu’il n’en va pas de la sorte dans les faits, mais on tourne aussi des films pour aller un peu derrière la réalité. J’ai demandé aux acteurs interprétant les cardinaux de jouer de manière différente de Michel Piccoli, qui incarne le pape: son rôle est plus réaliste, alors que le leur est plus grotesque, et j’ai essayé de concilier ces 2 aspects. « 

Deux pour le prix d’un

Et le film de balancer, intra et extra-muros, d’une humeur à l’autre aussi, comme d’ailleurs d’une interprétation à son contraire. Se trouve-t-il, par exemple, quelqu’un pour voir dans la démarche de ce pape parti à la rencontre de ses ouailles quelque écho à la vie du Christ, que Moretti objecte, amusé: « Oui, mais à la fin du film, l’image que l’on a, c’est celle du balcon vide, avec les rideaux qui flottent, et je comprends qu’elle ait pu troubler les autorités catholiques. C’est comme si l’on était en train de faire tomber l’édifice même de l’Eglise, avec l’infaillibilité du pape, et tous les messages qui l’accompagnent.  » Quant à pousser plus avant l’exégèse de son £uvre? « Il m’est toujours difficile de donner des explications sur mes films. J’ai parfois le sentiment que le public ressemble aux consommateurs d’un supermarché, qui souhaitent avoir 2 produits pour le prix d’un seul, et qu’il veut le film et son explication. Mais pour moi, tout le monde doit faire sa part de travail: un film n’a pas une interprétation unique et définitive.  » Ite missa est.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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