Il n’est pas inutile de le rappeler: chaque révolution musicale fut d’abord une révolution technologique. De l’arrivée de l’électricité (les micros qui déclenchent la vague des crooners, plus obligés de gueuler en studio pour se faire entendre) au sampler, qui permet la naissance du hip hop. Même le CD, aujourd’hui mourant, a eu son heure de gloire: en 1985, Brian Eno ne sortit son album Thursday Afternoon qu’en version CD. Le seul support susceptible selon lui de reproduire proprement les longues plages atmosphériques; le seul capable aussi de créer des « pièces de musique sans fin », l’auditeur pouvant arrêter et reprendre l’écoute quand il veut. Dans les années 60, les studios d’Abbey Road ont été au moins autant squattés par les Beatles que par les blouses blanches d’EMI. Parmi elles, l’ingénieur Alan Parsons posera son empreinte non seulement sur Let It Be, mais aussi et surtout sur le Dark Side of the Moon des Pink Floyd, avant de mener son propre projet (Alan Parsons Project). Les scientifiques ont souvent cherché la compagnie des artistes. Engagé par la compagnie Bell, Max Mathews fut par exemple le premier à envisager l’ordinateur comme un instrument (en 1957, il enregistra 17 secondes de musique sur un IBM 704), s’entourant en permanence de vrais musiciens (Jean-Claude Rissert, Laurie Anderson…).

Exercice en solitaire

Aujourd’hui, les nouvelles technologies ont encore une fois bouleversé la donne musicale. D’un point de vue industriel d’abord, ruinant le modèle économique en vigueur depuis des décennies. Mais la révolution ne s’est pas arrêtée là. Un simple ordinateur peut désormais abriter un studio entier. Mieux: non seulement il n’est plus besoin de posséder un garage pour répéter, mais il devient désormais possible de faire de la musique sans savoir jouer. C’était déjà la posture du punk. Mais cette fois-ci, la palette s’élargit, carburant à l’intuitif. Damon Albarn en a ainsi profité pour enregistrer le dernier CD de son groupe Gorillaz avec sa seule tablette numérique. The Fall a beau avoir été masterisé à Abbey Road, il a été composé entièrement sur l’iPad. Ces dernières années, un mouvement musical s’est même dessiné autour de cette nouvelle donne. La chillwave se distingue moins par son esthétique -un soupçon de new wave sentimentalement dansante, une pointe de shoegazing mélancolique- que par les conditions dans lesquelles elle est conçue: généralement par des nerds solitaires, coincés derrière leur laptop. En général, à côté du « maximalisme » dance et r’n’b (Lady Gaga, Guetta…), la musique pop a développé ces dernières années des climats plus dark, voire plombés, de James Blake à The xx (vrai groupe mais qui compose en s’envoyant des fichiers par e-mail). Aujourd’hui, c’est Björk qui entend marquer les esprits, consacrant l’application pour smartphone et tablettes numériques comme complément indispensable de toute sortie CD. Reste à voir l’impact qu’aura le virage multimédia. La démarche emmènera-t-elle vraiment la musique ailleurs? Ou, comme l’écrit le webzine Impose, l’amateur de musique fonctionnera-t-il un peu à la manière des gamins fonçant sur les cheeseburgers du McDo: parce qu’ils savent qu’ils sortiront avec un Transformer…?

L.H.

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