Qui mène la danse au pays des festivals? A tout seigneur, tout honneur… Herman Schueremans, Monsieur Rock Werchter, est l’homme le plus puissant du business belge. Mais depuis le rachat de son affaire -et d’autres- par le géant américain Clear Channel/Live Nation en 2001, il se méfie de la presse… Tentative d’approche focusienne.

Il existe des images d’Herman Schueremans filmées à la fin des années 70 par la BRT (future VRT). On le voit chez ses parents pour un solide déjeuner aux £ufs noyés de lard, servi par sa mère, en patois local, dans la cuisine modeste d’une maison de campagne flamande. Le petit Herman a la vingtaine -il est né le 5 janvier 1954- et déjà, il trace un style de mec réservé et travailleur, anti-flamboyant. A notre première rencontre, au milieu des années 80, il s’excuse pratiquement du luxe (relatif) de sa berline. Aussi peu show off qu’une zébrure de porte, Schueremans fait ses premiers concerts en 1974 en courant les provinces flamandes avec des shows de Kayak -prog-rock hollandais- et du bluesman karmique Kevin Coyne. A cette époque, l’ancien employé de TVA, qui gagne 16 000 francs belges par mois (400 euros), n’a pas, a priori, le profil de l’emploi. Hormis quelques spécimens de passage dont il ne fait pas partie (escrocs, poseurs, rêveurs), le business du concert est alors tenu, en Belgique, par des hommes à la Paul Ambach. Hâbleur, démonstratif, corpulent, blagueur, Ambach s’imagine en Ray Charles (blanc) et vient d’une famille de diamantaires juifs anversois. Deux événements vont permettre à Schueremans de le concurrencer sur les concerts d’envergure: la new wave et Torhout/Werchter. Ambach et son partenaire Perl ne s’intéressent pas à ces groupes anglo-américains débutants -U2, Simple Minds, Dire Straits, Talking Heads- alors que Schueremans, avec la complicité des Bruxellois de Sound & Vision (1), perçoit un nouveau marché potentiellement lucratif. En 1975, accrédité comme journaliste pour le Nederlandse Muziek Express, Schueremans assiste à un mini-festival sous chapiteau dans un bled du Brabant Flamand, Werchter. Il comprend que plutôt que d’organiser son propre truc dans la localité voisine d’Herent, il ferait mieux de fusionner avec l’événement werchterien. Ce qu’il fera avec le considérable succès que l’on sait, supplantant assez vite le concurrent limbourgeois de Bilzen, qui coule en 1981. (Rock)Werchter, longtemps dédoublé par son jumeau Torhout (zappé en 1999), devient l’un des plus importants d’Europe. Passé un moment chez W.E.A., Schueremans utilise ses connaissances managériales dans ses affaires. Avec Hedwige Meyer (l’initiateur de Werchter), il crée en 1984 Stageco, société qui va fournir des podiums de tournée à Pink Floyd, U2, Metallica ou les Stones. Jackpot. Schueremans met une décennie environ à se rendre indispensable, devenant un pion majeur du marché belge où ses liens avec des groupes devenus entretemps barnumesques (U2, Dire Straits) ou à fort succès (Talking Heads, Simple Minds) lui garantissent un développement durable. Et bien sûr, d’autres étoiles suivront: REM, par exemple, qui joue 7 fois (!) à Werchter entre 1985 et 2008. Paraît même qu’Herman a le numéro perso de Michael Stipe, même si on n’imagine pas trop ces deux-là parler du dernier modèle d’eye-liner en vogue…

Filet américain

Le coup de théâtre vient en 2001 lorsque le puissant groupe US Clear Channel rachète Herman, ses sociétés partenaires et la concurrence (y compris la boîte d’Ambach), fondant le tout dans ce qui devient Clear Channel Belgique. Plusieurs facteurs se croisent alors. D’abord, le ressentiment de certains petits organisateurs, en particulier francophones (2), vis-à-vis de ce qui est perçu comme une gourmande pieuvre man£uvrée par les Flamands. Clear Channel met sur pied ses propres concerts mais sert aussi d’intermédiaire obligatoire entre les agences étrangères -qui ont tout un catalogue de stars et de moins stars- et les autres promoteurs belges. Et puis, il y a la critique sévère de la presse sur la stratégie internationale, et donc belge, du groupe Clear Channel. Une congrégation fondée en 1972 par la droite texane amie de Bush Sr dont les pratiques aux Etats-Unis tendent au monopole: propriétaire de salles de concerts, de radios et de télés, et depuis fin 2005, sous le nom de Live Nation, négociant avec Madonna ou Jay-Z des contrats globaux, y compris la production de disques. En d’autres mots, cette société, cotée au Nasdaq, qui emploie 4400 salariés pour un C.A. de 3,7 milliards de dollars, représente la quintessence du néo-libéralisme. Ce qui ne doit pas effaroucher Herman: il est député au parlement flamand sous étiquette Open VLD depuis juin 2004. L’ampleur de la critique l’aura d’autant plus surpris que lui et ses acolytes bénéficient d’une réputation plutôt flatteuse de probité et de professionnalisme. Un acteur du secteur, anonyme, témoigne:  » Herman veut être le meilleur, il n’aime pas les conflits et a une diplomatie bon enfant. C’est quelqu’un d’apparence assez lisse, mais il a une mécanique assez sophistiquée pour être le plus fort, le plus influent. Il se positionne dans les festivals européens (3) et est proche des grandes agences anglo-américaines. Il a une approche 360° et c’est un travailleur. Il n’a jamais choisi de diminuer son aura ou sa puissance, il ambitionne peut-être d’être le patron de Live Nation Europe, qui sait? » On lui aurait bien posé cette question et d’autres: joint par téléphone, Schueremans commence par dire qu’il ne  » donne plus d’interviews depuis 2 ans parce que ce qui compte, c’est ce qui se fait, pas ce qui s’écrit ». Devant notre insistance, l’ancien journaliste nous demande d’envoyer un e-mail avec des questions, avant une éventuelle entrevue. On attend toujours sa réponse. l

(1) Philippe Kopp et Christian Verwilghen travaillent aujourd’hui pour Live Nation. Gilles Verlant, complice des débuts, s’esquiva assez rapidement.

(2) Parmi lesquels Fabrice Lamproye, patron de la Soundstation liégeoise, critiquant OUvertement Clear Channel avant de se décider à s’entendre avec Live Nation pour l’organisation des Ardentes…

(3) Schueremans et Live Nation sont actionnaires d’un nouveau festival jumeau à Werchter, inauguré en 2008 dans le Nord de la France, le Main Square d’Arras.

Texte Philippe Cornet

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