AVEC SON TROISIÈME ALBUM, L’OUTSIDER MIGUEL LIVRE UN DISQUE DE R’N’B’ BRILLANT, À LA FOIS ÉVIDENT ET PERSONNEL. ET SURTOUT ÉMINEMMENT CHARNEL.

Miguel

« Wildheart »

R’N’B. DISTRIBUÉ PAR SONY.

8

Il ne manque pas de lucidité. Sur What’s Normal Anyway?, Miguel chante: « Too proper for the black kids/Too black for the Mexicans/Too square to be a hood nigga. » On ne peut pas lui donner tort. Trop ceci, pas assez cela: depuis qu’il a débarqué sur la planète r’n’b, Miguel Jontel Pimentel de son vrai nom cherche encore un peu sa place. Non pas que ça l’ait empêché de trouver le succès. Son album Kaleidoscope Dream, sorti en 2012, a été certifié disque d’or aux Etats-Unis (500 000 exemplaires), et le tube Adorn a reçu le Grammy de la meilleure chanson r’n’b en 2013. Malgré ça, Miguel fait toujours un peu office d’outsider. Un cas à part, pas tout à fait simple à placer et à intégrer dans le récit actuel autour de la nouvelle scène r’n’b. Il en a certes la lascivité et l’abandon pop. Mais sans partager forcément le côté cliniquement froid de certaines productions ou de certaines poses psychologiques.

Avec Wildheart, Miguel ne clarifie pas davantage sa situation. Par contre, l’album est à ce point solide, cohérent, possédant et assumant sa propre vision des choses, qu’il se suffit à lui-même. Ou quand de ses particularités, il est possible de faire son principal atout…

C’est une évidence que d’écrire que le r’n’b carbure essentiellement à la tension sexuelle. Et la musique de Miguel ne fait pas exception. Il faut l’entendre miauler, ronronner sur le flamboyant FLESH. Un morceau comme The Valley est encore plus explicite, suintant le sexe cru, sale, vorace. « I wanna fuck like we’re filming in the valley », glisse le chanteur -faisant bien référence à la Vallée de San Fernando, quelque chose comme le Cinecitta du film porno-, avant de hoqueter explicitement sa to do list du jour: « Lips, tits, clit, sit »…

L’intérêt de Wildheart est qu’il ne se limite pas à un déballage libidineux. A la manière des grands soulmen tiraillés entre le corps et l’esprit, entre les plaisirs de la chair et la spiritualité (pensez Marvin Gaye, Al Green), Miguel met pareillement en scène les ballotements et les errances de l’amour moderne. Il le fait avec un romantisme de crooner qui n’est jamais niais. La qualité des morceaux y est pour beaucoup. La production aussi, dont Miguel prend en charge l’essentiel. Il a mis au point un son à la fois épais et fluide, mélange de soul, de rock, et de r’n’b, un peu comme a pu le faire Prince. Le principe étant d’éviter le côté glacé, pour toujours laisser du grain -Miguel ouvrant par exemple l’album avec un gros riff de guitare traînant.

Toujours évident, mais jamais complètement formaté, Wildheart trace ainsi sa propre route. Après l’énorme Black Messiah de d’Angelo, sorti en décembre dernier, et en attendant le nouvel album de Frank Ocean, Miguel fournit à son tour un disque de r’n’b’ qu’on risque d’explorer pendant un bon moment: un tour de force des plus séduisants.

LAURENT HOEBRECHT

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