EN 1994, NAS SORTAIT CE QUI DEVIENDRA L’UN DES ALBUMS-CLÉS DU RAP. VINGT ANS PLUS TARD, UNE RÉÉDITION, UN DOCU ET UNE TOURNÉE VIENNENT RAPPELER TOUTE L’IMPORTANCE ET LE GÉNIE D’ILLMATIC

Ca ressemble à quoi, un classique rap? En 1994, le jeune Nas sortait Illmatic et atteignait directement les sommets. C’est rare, un disque dont la force et la pertinence sont à ce point évidentes qu’il fasse directement l’unanimité, sans même attendre l’épreuve du temps. Certes, Illmatic n’invente rien, ne révolutionne rien. Mais il résume tout. Une décennie après son explosion, le rap se trouvait un nouvel étalon, auquel les sorties actuelles sont toujours comparées d’une manière ou d’une autre. Nas n’a plus jamais fait aussi bien? Certes, mais comment lui en tenir rigueur: voilà ce qui arrive quand on pond un disque qui marque non seulement une carrière, mais aussi un genre tout entier.

Pour le 20e anniversaire de sa parution, Illmatic bénéficie d’une réédition en bonne et due forme (lire par ailleurs). Nas a également annoncé la sortie d’un documentaire et une tournée autour du disque -elle passera notamment par le festival de Dour, cet été (le 18 juillet). C’est de bonne guerre: après l’avoir longtemps épargné, la rétromania s’attaque désormais au répertoire hip hop. Il était logique qu’elle remette en lumière l’un de ses disques phares.

Finalement, ça ressemble à quoi alors, un classique rap? Ça ressemble à ça…

1. Le storytelling millimétré

Dès les premières secondes d’Illmatic, Nas installe le décor. Bruits de rame de métro, extrait du film Wild Style, le premier film/docu hip hop sorti en 1983… Le New-Yorkais revient aux sources, fait redescendre le hip hop dans la rue et les quartiers. Ceux du Queens, en l’occurrence. Nas a grandi dans les projects de Queensbridge. A l’époque, l’épidémie de crack fait des ravages. Nas réussit à passer entre les gouttes. Mais cela ne l’empêche pas de croiser la dope et la déglingue dès la cage d’ascenseur. La drogue, la violence, les gangs, le sentiment d’emprisonnement… C’est tout ça que raconte Illmatic. Sans la forfanterie du gangsta rap, mais avec une authenticité et un sens du détail qui font mouche. Dans le livret qui accompagne Illmatic XX, Nas explique: « J’étais entouré d’animaux et je savais que j’étais l’espoir pour nous tous. » Et encore plus loin: « Ce disque est celui d’un jeune homme qui étouffe, et de ses amis suffocant autour de lui. J’ai trouvé un trou, j’ai pris un couteau et je l’ai agrandi pour nous donner à tous un peu plus d’air. C’est comme cela que je me sentais à ce moment-là. S’il n’y avait pas eu le hip hop, je n’aurais pas pu raconter cette histoire. »

2. La production béton

Avec Illmatic, Nas rassemble un casting de producteurs/beatmakers ahurissant. C’est la crème de la crème qui défile en studio pour épauler le jeune prodige: Large Professor, DJ Premier, Pete Rock, et Q-Tip d’A Tribe Called Quest. Malgré le nombre d’intervenants, Illmatic garde une cohérence dans le groove. A l’époque, le scratch est encore d’actualité (The World Is Yours, Memory Lane… ), et le sample donne toujours la direction du morceau. En s’appuyant sur des éléments classiques du rap, Nas les délivre toutefois avec une rare fluidité.

3. Le flow jazz

Souple comme un félin, sablé comme du papier de verre, le flow de Nas fait des étincelles. Dès NY State of Mind, c’est un feu d’artifice. Le rappeur se permet des figures complexes, des changements de rythme, la rime toujours précise. A ses débuts, d’aucuns l’avaient baptisé « Le nouveau Rakim », ou l’ont rapproché des artistes spoken word. Dans les deux cas, l’influence du jazz est évidente (Rakim vénérait Coltrane). Logique après tout quand on sait que Nasir Jones, de son vrai nom, est le fils d’Olu Dara, guitariste et trompettiste jazz qui a notamment joué aux côtés d’Art Blakey.

4. La pochette iconique

A l’instar du bébé nageur de Nevermind pour le rock, sorti trois ans plus tôt, la pochette d’Illmatic est probablement l’un des artworks les plus célèbres et marquants du rap, maintes fois cité ou parodié. A mille lieues de toute posture macho ou bling bling, la pochette installe directement le propos du disque. En arrière-fond, une image des projects new-yorkais sur laquelle a été surimprimée une photo de Nas, âgé alors d’à peine sept ans, le regard étrangement mélancolique. Life in the ghetto…

TEXTE Laurent Hoebrechts

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