De Gilbert Garcin, éditions Filigranes, 80 pages.

A l’âge où d’autres se glissent dans les pantoufles d’une « retraite bien méritée », Gilbert Garcin entamait une carrière d’artiste aussi tardive que triomphale. Le compteur de cet ancien patron de PME affichait déjà 60 ans bien sonnés quand il se frotta à la photographie. Sans autre ambition d’ailleurs que d’occuper ce temps libre subitement élastique. Ce qui n’aurait pu être qu’un loisir pour senior actif allait très vite propulser ce novice à l’avant-scène européenne de la discipline. Cela fait 15 ans que ça dure! Rien d’étonnant quand on découvre ses clichés noir et blanc magnétiques, cocktail subtil de dérision et de gravité. Héritier autant de Tati (pour le côté burlesque, pour le génie formel et bien sûr pour cette silhouette-manifeste désuète qui ne quitte jamais son manteau noir) que d’Hitchcock (pour l’art du cadrage et pour l’atmosphère mystérieuse affleurant sous le vernis lisse), GG n’en a pas moins inventé son propre alphabet visuel dont il est en quelque sorte la majuscule. Hormis quelques images où il partage la vedette avec sa femme Monique, le photographe marseillais, ou plutôt son double miniature, apparaît le plus souvent seul dans des tableaux aux compositions graphiques qui sont autant de regards obliques sur la vie, l’art, le temps qui passe, le couple ou la vanité. Chef-d’orchestre d’un paysage onirique, on le voit ici arracher méthodiquement des bandes rectilignes zébrant le sol (titre: Changer le monde), là (photo) porter littéralement son ego ( Le paon), là encore peindre en noir la vitre invisible qui nous sépare de son monde ( Regard sur la peinture contemporaine). Un grain de sable sémantique vient à chaque fois perturber la mécanique bien huilée du regard et des préjugés, incitant le spectateur à la réflexion autant qu’à la rêverie. La prouesse est d’autant plus bluffante que l’artiste travaille à l’ancienne. Pas de Photoshop dans sa manche. Juste de la colle, des ciseaux et des idées à la pelle. Garcin se prend en photo dans la position voulue, découpe sa silhouette et la replace dans un décor en carton-pâte. L’ensemble louche vers un surréalisme minimaliste, dépouillé, plus proche de Magritte que de Dali. Sauf que Mister G. saupoudre ses visions douces-amères d’un zeste d’humour pince-sans-rire. Le privilège de l’âge sans doute…

Laurent Raphaël

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