Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

RENCONTRE AU SOMMET ENTRE LE TRANSGENRE JOHN ZORN ET PAT METHENY. ÉBOURIFFANT ET VORACE, JAZZ ET NÉO-AVANT-GARDISTE, SURPRENANT.

PAT METHENY

« TAP – JOHN ZORN’S BOOK OF ANGELS/VOL. 20 »

DISTRIBUÉ PAR WARNER.

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Autant l’écrire d’emblée: ni John Zorn, ni Pat Metheny se sont spécialement inscrits à notre panthéon perso. Trop conceptuelo-avant-gardistes sans doute, trop fétichistes de la musique comme « Art Suprême ». Le premier, saxophoniste-arrangeur-compositeur-producteur new-yorkais (1953), a déjà pondu une invraisemblable discographie éclectique -on parle de 400 albums…- allant du klezmer à l’extreme metal, de la musique de film au classique. Avec un intérêt prononcé pour les multiples ramifications de la culture juive. Le second, né en 1954 dans le Missouri, à peine une centaine d’albums au compteur (…), agit sous diverses configurations instrumentales où sa guitare fait office de codicille suprême.

Zorn comme Metheny déclinent inlassablement les notions de jazz et de contemporain, de préférence en mixant les deux: cela rigole peu sous les sunlights et ne s’adresse donc que fortuitement à notre personne. Par exemple en 1985, lorsque le Pat Metheny Group enregistre une chanson canon avec David Bowie (This Is Not America).C’est dire qu’on n’attendait pas grand-chose de cette série (John Zorn’s Book Of Angels) dont Zorn écrit les musiques ensuite exécutées par d’autres, comme Marc Ribot ou Medeski, Martin & Wood.

Aucun risque qu’une des six plages -instrumentales donc- de cet album ne finisse dans les charts: trop imprévisibles pour cela, trop serpentines, trop étrangères à l’idée même de confort ou de plaisir 5.1. Dès le premier titre, Mastema -on dirait un nom de tumeur-,on ne peut que suivre le dérangement névrotique: l’intro en phrasé acoustique hispanique -parfum récurrent au disque- s’efface devant l’électricité vivifiante, hachurée jusqu’aux notes finales, belle érection de synthés déboussolés.

En charge d’une douzaine d’instruments conventionnels ou moins -la « guitare bariton »-,Metheny donne souvent l’impression de jouer à Vishnou, la déesse hindoue à plusieurs bras descendue sur Terre pour aider l’Humanité. Ce qui en d’autres temps (punk-new wave) apparaissait comme un ingrédient fumiste, voire « fasciste » -la dextérité exhibée-, boucle ici six titres surprenants et créatifs par leur rythme, structure, tonalité et sonorité. La démonstrativité parfois embarrassante du catalogue Metheny/Zorn est gommée au profit d’une musique à plusieurs peaux, à plusieurs saisons qui s’enchaînent sans douleur: les gargarismes bizarroïdes succédant aux arpèges de noblesse classique (Phanuel)ou cette folie bruitiste de cage aux fauves affamés (Hurmiz).Alors, quelles que soient les motivations in vitro et les parcours des cocos impliqués, on ne s’ennuie jamais avec ce qui est bien un putain de disque.

PHILIPPE CORNET

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