Initiative originale, Musikometro réhabilite le temps d’une après-midi 5 stations bruxelloises en salles de concerts. L’occasion de faire le point sur la situation des musiciens souterrains.

« Il faut remercier le métro. Maintenant il y a moins de violence dans la rue. »  » Prendre le métro est le meilleur moyen de haïr l’humanité.  » Il y en a des citations sur le transport souterrain. Et elles ne sont pas souvent du meilleur effet. Comme la musique en somme qui peut rendre invivables certains tronçons de stations bruxelloises. Histoire de se faire pardonner, depuis 2007, un jour par an, la STIB fait de l’£il à nos oreilles avec l’opération Musikometro. Une journée, ou du moins une après-midi, de concerts sous terre. Sans scène. Sans lumière. Et sans courant électrique.

Comme il fallait bien se faire connaître, l’événement a commencé par accueillir des artistes belges relativement établis tels que De Mens, Dez Mona, The Experimental Tropic Blues Band, Gabriel Rios, Kris Dane, Joshua ou Sharko.

Cette année, pour la quatrième édition de leur événement destiné aux amateurs de transports en commun, les organisateurs misent sur le surprenant et l’original: une fanfare de 33 accordéons, un homme des catacombes, une chorale qui monte dans les rames…  » Un groupe comme Black Box Revelation qui a l’habitude de jouer devant des milliers de spectateurs a appris l’an dernier la difficulté de capter l’attention des gens. Des gens qui ne vous connaissent pas et n’ont d’ailleurs souvent pas le temps de s’arrêter, commente Dis Huyghe, initiateur du projet. Il n’y aura pas de groupe à la Black Box cette année. Je voulais des artistes qui connaissent vraiment le métier. Parce que musicien de rue ou de métro, c’est un métier. Un métier peut-être pas reconnu, puis aussi en voie de disparition, mais un métier quand même. »

Pour concocter son affiche, le « programmateur », profondément influencé par la Zinneke Parade dont il est le porte-parole, s’est beaucoup promené dans Bruxelles. Il a activé ses réseaux. Pénétré le milieu des squatteurs de la musique.  » Ce n’est pas toujours évident. J’ai par exemple cherché à retrouver un musicien de rue pendant des semaines avant de réaliser qu’il était descendu dans le sud de la France pour l’été. Pourquoi? Le monde et le soleil. »

Beethoven ou Charly Oleg?

 » J’ai eu l’idée de Musikometro de retour d’un voyage à Berlin. Alors que je venais en Allemagne de contempler béatement pendant 10 minutes des musiciens d’opéra, des professionnels qui cherchaient à se faire une dringuelle, je suis tombé dès mon arrivée à Bruxelles sur un truc abominable. Le genre de mec auquel tu files moins du fric pour le récompenser que pour qu’il arrête de te casser les oreilles avec sa flûte de pan. »

Cette fameuse flûte de pan qui constitue chez nous, avec l’accordéon, l’un des 2 fléaux de la musique dans le métro. Si on entend généralement des tubes eighties l’après-midi et du classique après 21 heures dans les différentes stations (une société s’occupe de la programmation et de la diffusion), il faut bien avouer qu’on s’extasie rarement, pour ne pas écrire jamais, dans les couloirs froids de Madou, Rogier ou Simonis devant des musiciens en chair et en os…

Pourtant, depuis 3 ans, la STIB fait passer des auditions. Avant, il suffisait de se rendre à un guichet et de remplir un formulaire. Aujourd’hui, des membres du personnel avec une fibre musicale ont été formés et servent de jury. Ils se réunissent chaque fois qu’une quinzaine de demandes ont été introduites. A l’heure qu’il est, ils sont une septantaine en possession de l’accréditation valable pour 2 ans.

 » L’idée n’est pas de trouver les Beethoven ou les Mozart de demain, explique An Van Hamme, la porte-parole de la société des transports intercommunaux bruxellois. Juste de s’assurer que ça va au niveau musical et sur le plan de la présentation. Nous vérifions aussi que les postulants n’ont pas un gros dossier de fraudes chez nous. Ça ferait un peu tache. Nous aimerions avoir plus de diversité dans nos stations. Nous voulons les rendre agréables et attractives. Donner envie aux gens d’y circuler. De s’y arrêter. Dans la même optique, nous faisons très attention aux commerces qui s’installent… »

S’il n’y a pas de rockeurs et de guitares électriques qui font cracher les décibels pour donner vie à ces mélodies de sous-sol, la raison en est simple et évidente, au point qu’on n’y avait même pas pensé.  » Nos messages doivent aller jusqu’aux clients. Pouvoir être entendus distinctement.  » Bon sang mais c’est bien sûr…

Le métro bruxellois compte une centaine d’endroits où les musiciens peuvent s’exprimer. Rien à voir cependant avec New York où l’on entend parfois de meilleures choses underground que dans les nombreuses salles de la ville. Des groupes de rock, des brass bands. Des mecs qui ont été invités par les frères Gallagher à jouer des morceaux du dernier Oasis (joli coup de pub). Ou encore plus fou, la mère d’une actrice nominée aux Oscars. Si sa fille Gabourey Sidibe a reçu un tas de louanges et de récompenses pour sa prestation dans Precious, Alice Tan Ridley continue de proposer son R&B aux passants de la station Times Square. Ce qu’elle fait depuis 18 ans.  » Quand je rentre à la maison, j’ai assez pour payer mes factures et nourrir mes gosses,déclare-t-elle au New York Post. Les gens me demandent souvent pourquoi je ne joue pas dans des clubs mais mon club à moi, c’est le métro. »

Et elle n’est pas la seule à le penser. A Paris, 1000 musiciens postulent chaque année pour obtenir une autorisation semestrielle; 350 sont sélectionnés. Les 3 meilleurs ont même l’occasion de jouer au festival Solidays dont la RATP est partenaire. L’occasion de rappeler que Souchon et Higelin ont fait leurs classes devant des navetteurs.

 » A Londres, la musique de métro est un véritable commerce, reprend Dis Huyghe. Une station de radio genre FM Brussel organise un concours. Les vainqueurs décrochent une licence. Les autres n’ont d’autre solution que de l’acheter. »

Certains l’ont compris. Le métro est une bonne école et une intéressante vitrine.  » J’ai lu récemment que seulement 5 % des artistes présents au Pukkelpop, pourtant complet, sont diffusés sur Studio Brussel. Ça veut dire que 95% des groupes n’y passent jamais ou presque. Les gosses d’aujourd’hui ont besoin de nouveaux relais. Pourquoi le métro n’en deviendrait-il pas un? » l

Texte Julien Broquet

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