Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Paranoid Android – Avec Black City, le DJ-producteur suggère une balade urbaine sombre et abrasive. C’est beau, une ville la nuit? Certes, mais angoissant aussi…

« Black City »

Distribué par Ghostly International/Pias.

Il y a quelques mois, Matthew Herbert sortait One One, disque intime et fragile. Le musicien électronique anglais y osait des chansons pop nocturnes, calfeutrées dans l’ouate, chacune d’elles portant le nom d’une ville. Voilà que sort aujourd’hui le disque d’un autre Matthew, lui aussi DJ-producteur, collectionnant comme le premier les multiples alias (False, Audion…). La comparaison s’arrête là: Black City est à mille lieues de la musique brumeuse d’Herbert. Même obscurité, autre lumière: explications.

Matthew Dear, né au Texas il y a une trentaine d’années, s’est fait connaître par ses sets DJ autant que par ses productions techno ou une série de remix bien sentis (Chemical Brothers, Hot Chip, Charlotte Gainsbourg…). Quand il publie sous son nom cependant, c’est davantage une certaine pop que vise l’Américain. C’était surtout le cas du précédent Asa Breed, qui tapait la plupart du temps dans des morceaux de 3 minutes 30. C’était bref, mais toujours assez long que pour laisser libre cours aux expérimentations du bonhomme.

Gotham

Black City a été un peu conçu dans le même état d’esprit. Le ton et l’atmos-phère générale sont toutefois différents. Place ici à une pop électronique beaucoup plus « dark », qui va fouiner du côté du krautrock, du post-punk ou encore d’une certaine disco déviante (Arthur Russell). Black City a des airs de Gotham, une sorte de Metropolis droguée, sinon décadente, en tout cas bien défoncée et rongée par la parano. La voix de Matthew Dear n’y est pas tout à fait pour rien. Froide, construite en plusieurs couches fantomatiques, elle sonne souvent comme une version robotique de David Bowie. Une précision tout de même: aussi sombres soient les décors de ce Black City, jamais l’intrigue mise en place par Matthew Dear ne devient plombante. Or, en musique, arriver à faire l’un sans tomber dans l’autre n’est pas le plus mince des exploits. En fait, par 2 fois seulement, à l’entame ( Honey) et au final surtout ( Gem), Matthew Dear laisse entrevoir des paysages plus apaisés. Entre les 2, il alterne entre dancefloor drogué et balade éraillée ( Slowdance). Un morceau comme Little People (Black City) glisse même de l’un à l’autre dans le même élan: d’un groove house, il mute après 6 minutes vers un bad trip halluciné.

Ce qu’il y a de passionnant surtout dans ce Black City, c’est qu’il fait partie de ces disques, finalement assez rares, qui arrivent à combiner accessibilité et expérimentations. C’est un jeu d’équilibre permanent, un fil ténu qu’il n’est pas simple de tendre entre 2 pôles souvent contradictoires. Chaque morceau contient son lot de déviances sonores, de petites originalités. Mais jamais au point d’exploser le cadre de base. Avec Black City, Matthew Dear a ainsi choisi le côté sombre de la force pop. Une balade urbaine électronique aussi passionnante à suivre qu’abrasive et angoissée. On vous aura prévenus.

Laurent Hoebrechts

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