À L’HEURE OÙ SORT LE MERVEILLEUX HUGO (LIRE PAGE 23), 2 LIVRES REMARQUABLES DONNENT LA PAROLE AU GRAND CINÉASTE AMÉRICAIN.

Le moment ne pouvait pas être mieux choisi! Martin Scorsese nous faisant le cadeau d’un film admirable alors que paraissent 2 grands, gros et beaux livres consacrés au réalisateur. Prescience des éditeurs ou non, l’harmonie est parfaite entre le sublime hommage au 7e art qu’est Hugo et la découverte d’ouvrages donnant abondamment la parole au cinéaste. Et quelle parole! Car si Scorsese est un interlocuteur passionnant et passionné (son débit ultra rapide est un signe de ferveur plus que de nervosité), la double somme d’opinions, de confidences, d’anecdotes, qui nous est simultanément proposée nous emmène au plus intime de son £uvre comme de sa personnalité. Scorsese by Scorsese et Conversations avec Martin Scorsese forment un tout captivant. A 2,150 kg le premier, et 1,780 kg le second, ce sont assurément des livres de poids. Mais leur dimension réside aussi et surtout dans un contenu de tout premier plan!

Toute une vie

S’il n’avait pas été un enfant gravement asthmatique, confiné chez lui et pour qui le cinéma était le seul divertissement, Martin Scorsese aurait-il pris le chemin de la réalisation, après une velléité de rejoindre le séminaire pour devenir prêtre? Et s’il n’avait pas grandi dans un quartier de Little Italy, à New York, où réglaient leurs comptes mafias et malfrats en tous genres, ses films auraient-ils été si souvent hantés par les figures de délinquants et de criminels italo-américains, et aussi marqués par la violence? Les réponses à ces questions peuvent paraître évidentes. Elles le sont, d’ailleurs! Mais les souvenirs égrenés par le cinéaste dans ses conversations avec l’illustre critique Richard Schickel donnent des explications détaillées, habitées, reflets d’un ressenti où la manière intimiste dont se déroulent les échanges entre les 2 hommes favorise le travail de la mémoire. L’interlocuteur de Scorsese s’adresse à lui sans obséquiosité aucune, avec une franchise assez spectaculaire et en n’hésitant jamais à pousser les choses plus loin, à placer le réalisateur devant certaines contradictions, à lui relancer la balle tellement bien qu’il le force à une relance encore plus brillante souvent, éminemment révélatrice toujours.

S’il adopte une tenue sévère (habillage noir d’encre, images des films en noir et blanc, peu nombreuses pour 600 pages de texte), Conversations avec Martin Scorsese est un trésor d’informations et d’émotions. La photo de couverture est très belle. Le visage du cinéaste y émerge de l’ombre, la lumière se concentrant sur son poing serré, et -singulièrement- sur la montre qu’il porte au poignet. Evocation du temps qui passe, à 24 images par seconde, et clin d’£il (volontaire?) aux nombreuses horloges manipulées par le jeune héros d’ Hugo… Les chapitres consacrés à l’enfance et à l’adolescence qui ouvrent le bouquin sont fondamentaux, révélant les sources de la passion de Scorsese pour le 7e art. Et même plus que de la passion. C’est très justement que Schickel écrit, dans sa préface, qu’  » au contact de quelqu’un comme Marty, on finit par comprendre que les cinéastes ne se sentent réellement en vie que lorsqu’ils se consacrent et assument entièrement leur obsession« . Obsession, le titre d’un film de Brian De Palma, mais qui pourrait accompagner plus d’un film du réalisateur de Mean Streets, de Taxi Driver et de Raging Bull

Discours de la méthode

Après avoir savouré l’évocation des années d’études et des premiers courts métrages dans le livre de Richard Schickel, on peut ouvrir le fort volume de Scorsese by Scorsese et opérer un délectable va-et-vient entre les 2 ouvrages. Celui de Michael Henry Wilson ajoutant aux entretiens (étalés sur près de 40 ans, au fil des films!) une iconographie superbe autant qu’abondante. Des photos extraites des films y figurent évidemment, mais plus qu’elles, ce sont les documents montrant Scorsese au travail, et ceux qui expliquent ce dernier (storyboards, annotations, etc.) qui impressionnent le plus. La manière dont « fonctionne » le cinéaste s’en trouve éclairée de lumineuse manière. Les propos, eux, ont entre autres l’intérêt de traduire l’évolution de l’artiste. Les réponses aux questions récurrentes sur l’écriture, le travail avec les acteurs, le tournage, le montage, précisent au fur et à mesure la méthode Scorsese. La comparaison de ces interviews recueillies au fil du temps par Wilson avec la longue conversation récente menée par Schickel (et où Scorsese ne parle bien sûr plus au présent, mais au passé) traduit l’importance d’un cheminement passant de l’urgence absolue, électrisante, des débuts à la maîtrise (formelle et narrative) de la maturité, puis à une certaine forme de sérénité que l’âge, les paternités éloignées dans le temps, justifient en partie. Le tout sans jamais perdre ce doute profond, cette insécurité qui empêchera toujours le grand cinéaste de prendre quelque film que ce soit, quelque scène à tourner que ce soit, pour argent comptant.

Toujours envie

Il est magnifique de constater à quel point l’homme de 69 ans (depuis le 17 novembre) garde en lui, intacte, la flamme qui alluma son désir de cinéma et que voient briller, intense, les 2 livres paraissant aujourd’hui. Hugo en est la preuve éclatante, non seulement par sa vibrante déclaration d’amour au 7e art des origines, mais aussi par son inventivité formelle, cette jubilation visuelle à utiliser tout le potentiel du cinéma. Jusqu’à un emploi extraordinairement créatif de la 3D, si lourde aux pieds de tant de réalisateurs s’y voyant contraints (mode et commerce obligent), et qui apparaît si légère entre les mains d’un Martin Scorsese répondant très logiquement aux grincheux qui s’étonnent de son choix: » J’ai toujours aimé la 3D. Nous vivons en 3D, nous voyons en 3D. Alors pourquoi pas? » Le cinéma proche de la vie, même quand il prend l’allure d’un conte? Le cinéma condition de la vie, quand on fut comme lui « séparé du monde » par la maladie? La (belle) réponse à l’écran et dans les pages de 2 livres entre lesquels il ne faut pas choisir. Que de Scorsese, ce Noël, sous le sapin des cinéphiles! l

u SCORSESE BY SCORSESE, DE MICHAEL HENRY

WILSON, ÉDITIONS DES CAHIERS DU CINÉMA, 328 PAGES.

u CONVERSATIONS AVEC MARTIN SCORSESE, DE RICHARD SCHICKEL, ÉDITIONS SONATINE, 606 PAGES.

TEXTE LOUIS DANVERS

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