EN CINÉMA, MUSIQUE, BD, LITTÉRATURE… L’AVENTURE ARTISTIQUE SE CONJUGUE AUSSI RÉGULIÈREMENT AU PLURIEL. TOUR D’HORIZON.

MUSIQUE

Un jour, Tony Wilson, patron du mythique label Factory, déclara en parlant des Happy Mondays: « Chaque groupe met au point sa propre alchimie » -avant de préciser que la formation mancunienne avait trouvé un très bon chimiste en la personne de Bez, son fou dansant… Il n’y aurait donc pas de formule toute faite: à chaque band de trouver sa manière de fonctionner. En restant en rangs serrés. Ou au contraire en élargissant le cercle des invités. La proposition collective est souvent restée très théorique: le rock n’a en effet jamais été particulièrement friand de l’exercice. Il y a bien eu le Velvet Underground. Avec Andy Warhol comme manager, le groupe a croisé les genres, embarqués par exemple dans des happenings multimédias à la Exploding Plastic Inevitable, ou invitant Nico à prendre le micro. Malgré cela, le Velvet a toujours cultivé l’image d’un groupe en soi. On parlera donc plutôt de collaborations, voire d’affinités privilégiées.

C’est autre chose dans le hip hop. Le rap a beau avoir la réputation d’une musique individualiste, il est beaucoup plus ouvert qu’on ne le dit généralement. Une question d’ADN certainement. Dès le départ, le hip hop se définit comme un mouvement pluridisciplinaire: il y a la danse (le break), le graphisme (les graffitis), le DJing et, enfin, le rap. A la fin des années 70, Afrika Bambaataa lance ainsi la Zulu Nation. On notera au passage que le gaillard cite l’influence de Parliament et Funkadelic, là aussi moins des groupes définis que des machines funk à géométrie variable menées par George Clinton. Autre élément: l’image du gang, qui a toujours été importante dans la culture rap, de Sugarhill Gang (…) à NWA. Avec ses rigidités et ses crispations. Mais aussi avec l’idée que le gang peut aussi rassembler des énergies, pas forcément négatives, comme avec les Native Tongues (Jungle Brothers, A Tribe Called Quest, De La Soul…).

A cet égard, le « groupe » hip hop a fait son retour ces derniers mois. Loin des ego trip parfois fatigants, la nouvelle génération de rappeurs veut remettre le jeu collectif à l’honneur. L’impressionnant Kendrick Lamar est « affilié » à Black Hippy, le jeune Joey Badass à Pro Era… Mais c’est surtout ce sale gamin de Tyler The Creator et le collectif Odd Future, qui ont relancé l’esprit de clan. Une véritable galaxie de têtes brûlées, à laquelle sont liés par exemple Earl Sweatshirt, Frank Ocean, The Internet… L.H.

BD

S’il est bien un univers artistique où les collectifs sont légion, c’est bien dans la bande dessinée. Essentiellement pour deux raisons, pas toujours les meilleures: affirmer une certaine indépendance d’esprit, même s’il est collectif, et ainsi faire avancer le schmilblick, mais aussi permettre à des auteurs amateurs de se professionnaliser, à moindre coût. Les collectifs ont ainsi pris dès les années 60 aux Etats-Unis la forme de fanzines: Arcade ou Zap Comix furent ainsi des lieux de rencontre et d’expression pour des auteurs à la marge de leur époque, comme Robert Crumb, Art Spiegelman ou Harvey Kutzman. En Europe, la bande dessinée indépendante s’exprime elle aussi le plus souvent via des revues collectives: Jade, Psykopat, Auracan, l’Articho, Vanille Goudron via ses Juke Box à thème, ou encore Mauvais Esprit plus récemment et dans l’univers numérique, tous se veulent de petites structures pas moins professionnelles, mais certainement plus fauchées; le principe du collectif permet le plus souvent de produire des planches à moindre coût, les membres acceptant volontiers de voir leur prix de planche à la baisse, voire ramenées à zéro pour avoir l’occasion d’être publié, de s’exprimer, d’attirer d’éven- tuels autres éditeurs ou encore de s’exposer. La démarche s’explique aussi par la place prise par les magazines pendant des décennies dans le marché de la BD: si on ne peut pas à proprement parler de collectifs, des familles de dessinateurs se sont ainsi créées autour de magazines comme Spirou ou Tintin, voire en leur sein: le mythique Trombone Illustré regroupait ainsi des auteurs installés comme Franquin et des jeunes en devenir comme Jannin, autour d’une certaine idée progressiste de la bande dessinée, tant sur le fond que la forme. On compte aujourd’hui des dizaines de fanzines actifs, pour autant de collectifs à géométrie variable. O.V.V.

CINÉMA

Des aventures collectives, le Septième art en a connu de nombreuses -chaque film, à vrai dire, en est une, fut-ce au service de la vision d’un auteur. S’agissant de mouvements, l’effervescence politique et contestataire des années 60 aura, ici comme ailleurs, servi de terreau à quelques-unes de leurs occurrences les plus fameuses. Ainsi, de la création en 1967 par Chris Marker, le réalisateur de La jetée, du collectif SLON (pour Société pour le Lancement des OEuvres Nouvelles), où le cinéaste s’effacera derrière le producteur/animateur d’une structure rompant avec le mode de production traditionnel du cinéma, et dont le premier projet sera Loin du Vietnam, un film collectif auquel participèrent notamment les Varda, Resnais et autre Godard. Un Godard qui n’en restera pas là, lançant, quelques mois plus tard avec Jean-Pierre Gorin, le groupe Dziga Vertov, d’obédience maoïste, et actif jusqu’en 1972.

Plus confidentielles, sans doute, d’autres expériences plurielles, d’essence militante et/ou créative ont continué à voir le jour, se posant en alternatives au système de production en place. De Kino, championne canadienne du do it yourself ayant essaimé dans le monde entier, à Kourtrajmé, collectif d’artistes français actifs dans l’audiovisuel, les exemples sont innombrables et à enjeux variables -voir les cinéastes syriens s’exprimant sous la bannière Abou Naddara. Un mouvement touchant bien évidemment la Belgique, avec quantité de plateformes de production opérant dans le domaine du court métrage comme dans ceux du cinéma expérimental ou d’animation. Et au-delà, comme le Nova, à Bruxelles, émanation de collectifs actifs tant dans la production que la diffusion de films alternatifs, et dont les activités se sont développées dans des directions multiples. Au vrai, dresser une cartographie des collectifs cinématographiques tient de la mission impossible, tant il y a là l’expression d’une activité fébrile…

LITTÉRATURE

Le principe du collectif semble plus rare aujourd’hui en littérature, un art intime qui ne s’expose que rarement. Si le principe apparaît le plus souvent pour des raisons terre à terre, comme une proximité géographique ou le besoin de se regrouper pour défendre certaines causes -un collectif d’écrivains s’est ainsi constitué récemment pour empêcher la numérisation automatique des livres et rendre inaliénable le droit d’auteurs-, certains collectifs se forment tout de même pour des raisons purement artistiques. On pense ainsi à l’OuLiPo, ou Ouvroir de Littérature Potentielle, né en 1960 entre autres avec Raymond Queneau, dans un but de pure expérimentation souvent formelle. Plus récemment, plus mainstream, une dizaine d’écrivains français se sont regroupés, dès 2008, au sein de La Ligue de L’Imaginaire. Se sentant délaissés par les critiques, des auteurs comme Maxime Chattam, Frank Thilliez, Bernard Werber, Patrick Bauwen, Olivier Descosse ou Henri Loevenbruck ont décidé de faire cause commune pour soutenir leur (mauvais) genre et redonner à la littérature de l’imaginaire ses lettres de noblesse, dans l’ombre de Stephen King, Jules Verne ou Alexandre Dumas. Au programme de la Ligue, colloques et débats en commun, présence en festival, site Internet, soutien aux libraires, et de rares ouvrages en commun: la Ligue n’en compte qu’un seul pour le moment, L’empreinte sanglante, paru au Fleuve Noir en 2009. Soit sept nouvelles, dont une seule fut vraiment écrite à quatre mains (par Eric Giacometti et Jacques Ravenne). O.V.V.

L.H. – O.V.V. – O.V.V.

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