DANS AMERICANO, MATHIEU DEMY ENTAME UN DIALOGUE FÉCOND AVEC L’HÉRITAGE PARENTAL POUR MIEUX TRACER LA VOIE D’UN ROAD-MOVIE SINGULIER.

Mathieu Demy passant derrière la caméra, il y a là comme l’aboutissement naturel des choses. Après tout, l’acteur, révélé en 1997 par Jeanne et le garçon formidable, avant d’arpenter avec bonheur les plateaux de Deville, Bonitzer ou autre Téchiné, est aussi un enfant du sérail; le fils d’Agnès Varda et Jacques Demy, plus précisément. D’autres auraient trouvé ce prestigieux héritage inhibant, lui en a fait la sève de Americano, un premier long métrage qui vient après 2 courts tournés à l’aube du XXIe siècle, Le plafond et La bourde.  » La mise en scène m’a toujours intéressé, sourit-il , alors qu’on le retrouve dans les coursives du théâtre de Namur, à l’occasion du Festival du film francophone. Ce film-là, c’est un peu particulier: ce n’est pas vraiment un premier long métrage, mais il fallait que j’en passe par là, et que je raconte à quel point l’influence du cinéma de mes parents m’a constitué. Cela, avec la volonté quand même de raconter une histoire qui peut se lire de manière plus directe: un deuil qui déclenche un voyage et des questionnements. »

Americano envoie Martin, un quadra parisien -Mathieu Demy lui-même-, à Los Angeles pour y régler diverses affaires à la suite du décès de sa mère qui y résidait. Soit le début d’un film d’autant plus singulier que l’auteur a décidé de le faire rimer avec des extraits de Documenteur, qu’avait réalisé Agnès Varda à la toute fin des années 70. La réalisatrice de Cléo de 5 à 7 y racontait leur vie à L.A., alors que Jacques Demy tentait, sans succès, de monter Skaterella, adaptation de Cendrillon en patins à roulettes. En découle une impression étrange, celle de se glisser, par endroits, dans un horizon à ce point personnel qu’il a inspiré à Mathieu Demy un néologisme,  » autofictiographique« .  » Les souvenirs que je garde de notre vie aux Etats-Unis sont meilleurs que Documenteur , qui est un petit manifeste mélancolique d’un moment de notre vie familiale, mais stylisé. Mes souvenirs se mélangent, et c’est aussi la raison pour laquelle ce film m’obsédait: j’ai eu besoin de me réapproprier ce personnage pour décréter qu’il ressortait vraiment à la fiction. Et que même si nous étions proches, ce n’était pas tout à fait moi. Mais c’était une drôle de période, effectivement. » Dont il ajoutera qu’elle éveille en lui une certaine nostalgie, qui est encore celle de l’enfance.

Le fantasme d’un héros de cinéma

A l’évidence, Americano est aussi le film d’un auteur dont le cinéma a forgé le regard sur le monde -comment aurait-il pu en aller autrement, à vrai dire?  » Le film est un dialogue avec le cinéma, approuve-t-il. Mon père dialoguait comme cela avec moi. Il m’a éduqué à coups de films, des westerns, des films musicaux, des comédies… Martin est un personnage qui se fantasme un peu comme un héros de cinéma d’une situation à l’autre, et le film glisse d’un univers de cinéma à un autre. Ce voyage à travers le cinéma fait partie de ma famille et, à des degrés différents, de la manière dont mon père m’a montré des choses et puis de celle dont ma mère a choisi de raconter des choses très personnelles dans Documenteur.  »

Fécond, cet échange balade, à l’occasion, le film dans de fascinants chemins de traverse – » il y avait l’envie de brouiller les pistes« , s’amuse encore Mathieu Demy. Logique, en fin de compte, pour une histoire que son protagoniste fera dériver, sur un coup de tête, vers Tijuana et la frontière, en un road-movie improbable parsemé, loi du genre, de rencontres, au rang desquelles l’ombre de Lola, le fantôme des Doors, Géraldine Chaplin, André Wilms ou Salma Hayek. De quoi permettre à Martin de se réinventer, et à Mathieu Demy de produire une musique aussi originale que discrètement entêtante. Manière toute personnelle, aussi, de réenchanter le monde, en écho à cette qualité que l’on prêtait, à raison, aux Demoiselles de Rochefort et autres Parapluies de Cherbourg?  » On disait que Demy réenchantait le monde, mais c’était sa manière à lui de sortir du réel. Mais même dans les films d’Agnès, on sort du réel. Ce n’est pas parce qu’on est dans le vrai qu’on est dans le réel. Elle a un cinéma qui se confronte au vrai mais qui nous fait aussi nous évader. Je crois en la capacité du cinéma à réenchanter le réel, en chansons ou non. Et j’ai toujours aimé les films qui me font sortir de ma tête et qui me font voyager. » Démonstration avec un Americano bien frappé, made in U.S.A. et au-delà…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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