AU FIL DU TEMPS, LE MAROC S’EST IMPOSÉ COMME UNE DESTINATION TOUJOURS PLUS PRISÉE DES PRODUCTIONS INTERNATIONALES. AINSI, TOUT RÉCEMMENT ENCORE, DE MISSION: IMPOSSIBLE 5, DE CHRISTOPHER MCQUARRIE, OU, PROCHAINEMENT, DE SPECTRE, LE NOUVEAU JAMES BOND.

L’autocar Casablanca-Marrakech cahote de transparence en transparence avec à son bord Doris Day et James Stewart, couple de touristes américains dont la villégiature exotique prendra un tour dramatique lorsque, surgissant des souks un poignard planté dans le dos, Daniel Gélin s’en viendra mourir à leurs pieds. Ayant choisi la Ville rouge pour y situer le remake hollywoodien de The Man Who Knew Too Much, réalisé en 1955 vingt ans après sa version anglaise, Hitchcock inscrivait Marrakech sur les atlas cinéphiles. Doris Day y entonnait son Que sera, sera pour la postérité; soixante ans plus tard, le temps a fait son oeuvre, en effet: Marrakech accueille désormais un festival de cinéma de renom, tandis que le Maroc est devenu une terre de tournages prisée à l’échelle internationale. Un mouvement qui, passés les illustres précurseurs (Welles et son Othello, tourné pour bonne part à Essaouira, avant Hitch, ces deux-là étant bientôt suivis par les Lean pour Lawrence of Arabia et autre Huston pour The Man Who Would Be King), s’est amplifié à compter des années 80, pour atteindre, depuis une bonne décennie, son rythme de croisière.

Formation continue

Nul hasard, dès lors, si, aux côtés des acteurs Jeremy Irons et Viggo Mortensen, la 14e édition du festival international du film rendait hommage aux producteurs Khadija Alami et Zakaria Alaoui, la première s’étant spécialisée dans la coproduction de mini-séries façon Ben-Hur ou The Bible ; le second dans celle de films anglo-saxons, américains pour l’essentiel, sa filmographie courant du Gladiator, de Ridley Scott,à Mission: Impossible 5, de Christopher McQuarrie, en passant par Inception, de Christopher Nolan,ou American Sniper, de Clint Eastwood. « J’ai un peu vécu l’histoire du cinéma au Maroc à travers l’évolution des tournages étrangers, relève Alaoui, dont les débuts remontent aux années 80. Mais si les gens nous considèrent souvent sous l’angle de l’économie marocaine, parce que les productions étrangères drainent de la devise et de l’emploi, avec un épanouissement économique dans la région où elles se déroulent, elles ont aussi constitué une formation continue qui a permis au cinéma marocain de progresser. Avec le temps, nous avons pu former des équipes polyvalentes et performantes dans les différents secteurs de l’industrie. »

Directeur de la Ouarzazate Film Commission, Abderrazzak Zitouny ne dit d’ailleurs pas vraiment autre chose, lorsqu’il constate qu’en une vingtaine d’années, les équipes de tournage sur les productions internationales sont passées de minoritairement à majoritairement marocaines. Situés à un saut de puce de Marrakech -20 minutes de vol, le temps de franchir l’Atlas, avant de fondre sur les portes du désert-, Ouarzazate et ses environs immédiats se sont érigés en Hollywood local. Sur la petite trentaine de tournages qu’a accueillis le Maroc en 2014 (année marquant une reprise sensible, après une courte période de tassement), près de deux tiers ont élu résidence dans la région. Les statistiques parlent d’elles-mêmes, qui donnent le cinéma contribuant pour 50 % à l’économie locale. Ainsi, exemple parmi d’autres, la mini-série The Red Tent, avec Minnie Driver, a-t-elle mobilisé pas moins de 4000 figurants du cru.

Du Tibet à l’Egypte antique sans transition

Débarquer à Ouarzazate, c’est se convaincre de deux atouts de l’industrie marocaine, aux côtés des incitants fiscaux, du faible coût d’une main-d’oeuvre qualifiée et de la stabilité politique: la beauté et la variété des décors naturels, servis par une luminosité exceptionnelle. Des qualités qui crèvent les yeux, alors que l’on s’aventure vers le ksar d’Ait-ben-haddou, ensemble fortifié traditionnel classé au patrimoine mondial, et l’une des destinations de tournage parmi les plus courues: Robert Aldrich y tournait Sodom & Gommorah dès 1963, et les productions s’y sont multipliées depuis que Ridley Scott y amena Gladiator en 2000. De fait, le cadre se prête parfaitement aux films en « sandales et jupettes », comme l’on appela aussi les péplums, précepte parfaitement assimilé de Alexander en Prince of Persia, notamment. Cela, même si le genre, en plein renouveau, n’a pas l’exclusivité des lieux: parmi la dizaine de films et séries tournés sur place ces derniers mois, on compte encore Queen of the Desert, de Werner Herzog, à savoir l’histoire de Gertrude Bell, avec Nicole Kidman dans le rôle-titre, ou Les Nouvelles Aventures d’Aladin, coproduction belge réunissant notamment Kev Adams et Audrey Lamy.

A deux pas de là, les studios Cla et Atlas ajoutent l’infrastructure à la majesté des lieux, les premiers avec des plateaux de tournage accueillant des intérieurs variés, les seconds avec une gamme de décors ouvrant sur des extérieurs prodigieux, où le désert semble bientôt avalé par les neiges de l’Atlas -Ridley Scott, encore lui, y a posé les caméras de Kingdom of Heaven, dont les (faux) murs trônent au milieu des sables. Directeur des studios, Amine Tazi y est en son domaine, mogul chaleureux haranguant ses visiteurs à grands coups de Come on boys! et autres Let’s Go! décidés, résonnant bientôt sur ses pas dans une Egypte de carton-pâte: visiter les studios, c’est aussi s’offrir un tour du monde au pas de charge, la promenade conduisant, sans transition, du plateau tibétain du Kundun de Martin Scorsese, à celui, imposant, de Tut, mini-série avec Ben Kingsley revisitant le règne du pharaon Toutânkhamon. 750 ouvriers ont travaillé pendant trois mois à la construction des décors, rien moins qu’impressionnants, où ont évolué jusqu’à 800 figurants. « En plus de paysages exceptionnels, on trouve ici des conditions imbattables pour une production de cette ampleur », explique Michael Prupas, le producteur exécutif canadien qui en est à sa troisième expérience marocaine après The Last Templar et Ben-Hur, et qui évoque un budget de 35 millions de dollars pour les six heures de la série qui sera diffusée aux Etats-Unis en juillet prochain.

Au besoin, d’autres arguments peuvent s’y ajouter. Ainsi Oliver Stone avait-il pu compter sur le renfort de l’armée marocaine, fournissant les figurants pour son Alexander. Une « souplesse » dont le tournage de Mission: Impossible 5 a apporté, ces derniers mois, une nouvelle illustration. « Ayant essayé de fermer des autoroutes dans d’autres pays, la production s’était heurtée à des fins de non-recevoir, raconte Zakaria Alaoui. Elle m’a donc mis au défi d’y parvenir. J’ai frappé à la bonne porte, en disant: « Voulez-vous d’un film avec des dépenses de 30 millions de dollars au Maroc? Il faut fermer une autoroute… » Les autorités ont eu un réflexe intelligent, et m’ont donné l’autorisation. C’était pour le bien du pays, et les gens l’ont compris. » Résultat: pendant trois semaines, l’autoroute Marrakech-Agadir sera interdite à la circulation, une déviation de 40 kilomètres étant installée -chose impensable ailleurs. James Bond fera-t-il plus fort qu’Ethan Hunt? A voir, alors que le tournage de Spectre passera par Oujda, Tanger et Erfoud. « Mais là, je suis tenu à la confidentialité« , conclut Alaoui dans un sourire…

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Marrakech

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