IL A JOUÉ DANS LE PREMIER MAD MAX. ET TAPÉ DANS L’OREILLE DE MICK JAGGER. QUARANTE ANS APRÈS, HOWARD EYNON SE SOUVIENT ET RACONTE SON SEUL ET UNIQUE ALBUM AUJOURD’HUI RÉÉDITÉ.

Grand échalas au regard bienveillant et au sourire franc, le cheveu long et blanc, Howard Eynon débarque, coolitude incarnée, dans le salon feutré d’un luxueux hôtel d’Utrecht. Alors que le label Earth Records réédite son seul et unique album, le beautiful loser australien donne mi-novembre son premier concert en Europe à l’occasion du Guess Who?, à pas moins de 68 ans. Disque d’acid folk étrange, cocasse et théâtral sorti en 1974, So What If Im Standing in Apricot Jam n’avait été tiré qu’à un petit millier d’exemplaires à l’époque. Il rappelle les univers de Donovan et Syd Barrett avec une petite touche de Monty Python. « Il te donne l’impression d’avoir été enregistré par un mec qui prenait beaucoup de drogues? Ça doit expliquer que je n’ai pas été bien loin. Les Australiens sont très conservateurs. » Howard rigole -ce qu’il faisait déjà dans les paroles de ses chansons, épinglant par exemple lui-même sa ressemblance avec l’auteur écossais de Sunshine Superman et Mellow Yellow. « And if you want to be critical and say this sounds a bit like Donovan, I won’t change it. » (Hot BJ)

Flash-back biographique. Howard naît et grandit en Angleterre. Sa famille part s’installer en Australie quand il a 11 ans. Son père, jusque-là dans l’Air Force, a acheté une ferme en Tasmanie. « C’était fabuleux. J’avais tout ce dont un gamin pouvait rêver. D’autant qu’il y avait pas mal de musique dans les parages: mon paternel jouait de la guitare et était branché chants religieux, ma soeur écoutait beaucoup de classique. Puis, c’était l’époque de Jethro Tull, des Who, des Stones, de Bob Dylan et Leonard Cohen… »

Geoffrey Rush, Oui-Oui et Hunter S. Thompson

A 17 ans, Eynon part pour la ville en quête de pièces et de films. De planches et de cinéma. En 1971, il remporte le télécrochet Australian New Faces, ancêtre australien de The Voice et de La Nouvelle Star. « J’ai commencé à Victoria en reprenant Blackbird des Beatles. J’ai foiré. Le jury n’a pas aimé. J’ai réessayé ailleurs et j’ai gagné en revisitant Simon and Garfunkel avant de remporter par accident la finale nationale. Mon prix? 3000 dollars et un contrat d’un an à la télé. Je chantais dans un music show. Ça a participé à mon éducation. »

Eynon vogue alors entre la musique et le théâtre. Il a toujours joué de la guitare, et déjà essayé d’écrire des chansons. « 1973 est une année incroyable. Je tourne avec la Queensland Theatre Company. Je viens de la brousse mais j’habite avec des êtres humains fabuleux, des gens très créatifs. » Parmi eux, il y a l’acteur Geoffrey Rush, pianiste dans Shine, orthophoniste dans Le Discours d’un roi, et capitaine Barbossa de la saga Pirates des Caraïbes. « C’est l’époque où je découvre ces magnifiques champignons. C’est fantastique! J’ai 26 ans. On voyage partout pendant 23 semaines. Cette année me secoue. Le parti travailliste est au pouvoir en Australie. Une époque dynamique et pleine de promesses. »

Quand il rejoint la Tasmanian Theatre Company en 1974, le comédien est invité à composer la BO d’une pièce. Il rencontre Nick Armstrong qui lui propose dans la foulée de faire un disque. « Pendant trois mois, très intenses, j’ai bossé sur ces chansons que j’ai enregistrées en Tasmanie. Le moindre son que j’entendais dans ma tête, Nick m’aidait à lui donner vie. Luke Swann, qui a eu l’idée de la pochette (sa paire de bottes préférées, la couleur orange de l’abricot, NDLR), était aussi un personnage incroyable. Il baignait constamment dans le monde de Tolkien. On était tous dans Le Seigneur des anneaux à l’époque. On le vivait réellement: on dirigeait la Terre du milieu! »

Howard donne des concerts (il ouvrira même pour l’écrivain Hunter S. Thompson fin des années 70) et continue de jouer la comédie. Il apparaît ainsi dans le premier Mad Max. « Je n’y tiens qu’un petit rôle mais c’était génial, se souvient-il amusé. J’avais déjà joué dans quelques films quand, au milieu des années 70, Hugh Keays-Byrne, un acteur shakespearien anglais qui s’était installé en Australie, m’appelle en me disant qu’il veut me présenter au réalisateur George Miller. Il savait que je passais mon temps sur des chevaux et des motos. Miller était cool. Il m’a filé cette bécane incroyable pendant trois ou quatre semaines. Comme il fallait la roder, j’arpentais les rues sur une moto de Mad Max. Quand le tournage a commencé, j’ai dû la donner à Hugh: c’était lui le boss du gang. Et j’ai eu ma Kawasaki jaune. Ça a vraiment été un mois et demi hallucinant. On nous avait glissé un passe-droit pour la police qui, je m’en suis rendu compte bien plus tard, était complètement bidon. Il était signé Inspecteur Plod, du nom d’un personnage imaginé par l’auteur pour enfants Enid Blyton à qui l’on doit Les aventures de Oui-Oui et du Club des Cinq. »

Devenu père, Eynon finit par changer de vie (« une petite voix dans ma tête me disait: « Tu ferais mieux de gagner un peu d’argent! »). Il se fait charpentier. Puis directeur d’une société créée par sa femme. « Quand mon disque est apparu sur eBay il y a dix ans et se vendait pour une cinquantaine de dollars américains, quelqu’un m’a envoyé un lien. Je me suis demandé ce qui m’arrivait.. . C’était amusant de lire ce qu’on disait de ma musique. Pour moi, c’était juste un paquet de chansons qui m’étaient venues à l’époque et que j’avais rassemblées pour en faire un album. » C’est le moment que choisit le producteur Scotti Henshaw pour lui envoyer un message rédigé avec des Bics de différentes couleurs: cet album a changé son existence, il bosse dans l’industrie du disque et veut le rééditer. « Il a rencontré des problèmes financiers, il a disparu pendant un bout de temps. Puis il est revenu vers moi. Il a fini par le sortir, et Earth Records par le distribuer en dehors de l’Australie. » Le début d’une nouvelle vie…

SO WHAT IF IM STANDING IN APRICOT JAM, DISTRIBUÉ PAR EARTH RECORDS.

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TEXTE Julien Broquet

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