Ma Meilleure Amie

Comment peut-on tout partager puis, soudainement, se perdre de vue? Du temps de leurs études de lettres, Helga, Rosie et Sambre occupent un meublé foutraque en fond de cour.  » Tout est seyant, tout est confortable, et on se lance tout cru dans le jour neuf avec dans les veines la ressource de dire merde à la Terre entière. » Dans le grand bazar de l’appart surnommé Campo, du nom de la rue et de la station de métro toutes proches, les filles échangent tout: lits, repas, garçons, avec ardeur et désinvolture. Dingues de littérature, ces trois provinciales surgies du Grand Est parlent comme des livres:  » Campo était une grotte primitive, nous y gravions des mains, des taureaux et des hommes. » Après leurs études, leur vie d’adultes les attend, avec son lot de changements: travail, mari ou femme, il faudrait s’inventer sans la grâce de personne. La grande affaire serait alors l’amour exclusif, sujet épineux, pour cadrer les nouveaux ressacs du désir. Avec une moue  » qui veut dire on sait pas quoi« , comme un air de ne pas y toucher, Fabienne Jacob procède par touches, joue à saute-mouton entre hier et aujourd’hui pour débroussailler les idéaux de jeunesse. Dans ce patchwork sensible, décousu mais bourré de charme, se tisse une déambulation interrogeant les injonctions à être heureux. Avec une écriture tonique, ébouriffée, Jacob se tient au bord des phrases comme si c’étaient des bras de mers: ça irrigue, ça bat la mesure du détachement progressif des êtres et des choses. Et le présent de se poudrer d’éternité: garder un souvenir, pour quoi faire?

De Fabienne Jacob, éditions Buchet/Chastel, 224 pages.

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