UN SPECTACLE, CERTES, MAIS AUSSI UNE DRAMATURGIE, UNE QUÊTE ET UNE ÉCOLE DE VIE. LE CINÉMA DE FICTION VOIT DANS LA BOXE BIEN PLUS QU’UN ÉCHANGE DE COUPS. AVEC DES RÉSULTATS SOUVENT REMARQUABLES.

De tous les sports représentés à l’écran, la boxe est sans conteste celui dont l’étreinte amoureuse avec le 7e art a engendré les plus beaux rejetons. On ne compte pas les grandes réussites, la dernière et formidable illustration en étant The Fighter de David O. Russell, pour qui le premier coup de gong retentira bientôt dans nos salles, mais qui a déjà conquis l’Amérique, triomphe aux Oscars compris.

Comme beaucoup de films intégrant ce qu’on appela jadis le « noble art », il s’inspire de faits et de personnages réels. La veine du « biopic » a en effet et très logiquement marqué le sous-genre du film de boxe, et ce depuis les années 1940.

Des hommes et des dieux

Jim Corbett fut le premier champion authentique à se voir honoré par l’écran, dans Gentleman Jim (Raoul Walsh / 1942) et sous les traits du bondissant Erroll Flynn. Vint ensuite Rocky Graziano, incarné par Paul Newman dans Somebody Up There Likes Me (Robert Wise / 1956). Puis Jack Johnson, joué par James Earl Jones dans The Great White Hope (Martin Ritt / 1970). Jake La Motta étant, via Robert De Niro, le personnage principal de Raging Bull (Martin Scorsese/ 1979), avant que Marcel Cerdan soit ressuscité par… son propre fils Marcel Cerdan Jr. dans Edith et Marcel (Claude Lelouch / 1982). Mohamed Ali, « the greatest », ayant plus récemment les honneurs d’un film baptisé simplement de son nom: Ali (Michael Mann / 2002), avec Will Smith.

Si le premier et le dernier film cités, ainsi que celui de Lelouch, font -fort brillamment pour 2 d’entre eux- l’apologie du sportif élevé à une dimension quasi mythique, les autres adoptent une approche nettement plus rugueuse, ne cachant rien de la jeunesse perturbée d’un Rocky Graziano jouant des poings dans la rue avant de le faire sur un ring, ni des accès de violence (auto)destructrice de Jake La Motta, ni du racisme imposant un cadre oppressant aux exploits de Jack Johnson, premier champion américain noir… C’est que, dans la réalité comme au cinéma, la boxe offre souvent un reflet des tensions d’une société.

Sport de gentilshommes codifié dans les universités britanniques, la boxe a rapidement évolué vers une commercialisation à outrance, son lot de paris officiels mais aussi clandestins attirant les médias mais aussi des investisseurs véreux. Avec, pour conséquences, des arrangements, des combats truqués, des règlements de compte et une atmosphère de suspicion aussi lourde que permanente.

L’ordre et le KO

Mais elle s’est également posée en « ascenseur social » efficace pour les jeunes sans avenir des classes déshéritées et des minorités ethniques. Le cinéma ne pouvait qu’exprimer ces réalités dans ses fictions pugilistiques. King Vidor a filmé la déchéance poignante d’un boxeur trop vite usé dans The Champion (1931) avec Wallace Beery. Un remake inutile de Franco Zeffirelli (en 1979 et avec Jon Voigt) est venu rappeler cette histoire d’un boxeur fini, remontant sur le ring pour l’amour de son jeune fils et ne gagnant le combat que pour s’écrouler immédiatement, victime d’une crise cardiaque… En 1939, William Holden joue dans Golden Boy de Rouben Mamoulian un jeune pugiliste de talent que vont vite menacer combines et corruption. John Garfield veut réussir par la boxe dans Body And Soul de Robert Rossen (1947), mais tombe dans les filets de promoteurs sans scrupule. Dans l’inoubliable et bouleversant The Set-Up (1949), Robert Ryan campe un boxeur vieillissant, se retrouvant embringué dans un combat truqué mais qui refusera de s’allonger, dans un admirable sursaut de dignité. La même année, Kirk Douglas incarne dans Champion (Mark Robson) un combattant saisi d’un délire de puissance qui le conduira à provoquer sa propre chute. Et ce sont des larmes, aussi, qui accompagnent le calvaire de Toro Moreno (Mike Lane), pauvre gars offert en pâture à une opération spéculative tournant au massacre dans The Harder They Fall (1956), également signé Robson et où Humphrey Bogart trouve un de ses meilleurs rôles en journaliste non démuni de conscience. Quant à John Huston, il couve d’un regard solidaire et mélancolique les boxeurs losers de Fat City (1972), où Stacy Keach et un jeune Jeff Bridges font merveille.

La revanche des humiliés

Comme leurs modèles réels, les boxeurs de cinéma sont très souvent afro-américains, latinos, ou alors « white trash » (issus du sous-prolétariat blanc des Etats-Unis). Les demi-frères de The Fighter viennent de cette dernière classe sociale, tout comme l’héroïne du saisissant et ô combien émouvant Million Dollar Baby de Clint Eastwood (2004) qu’incarne Hilary Swank. La boxeuse de l’intense Girlfight (1999, Karyn Kusama), jouée par Michelle Rodriguez, étant pour sa part d’origine hispanique. Le (justement) fameux Rocky créé puis joué par Sylvester Stallone en 1976 dans le film de John G. Avildsen s’inscrivant à la fois comme immigré (il est italo-américain, comme nombre de champions du passé… dont Rocky Marciano auquel il emprunte son prénom), et prolo de première. Si la qualité des suites (5 au total) données au premier film est allée décroissante, ce héros devenu mythique exprime superbement 2 idées de nombreux films sur la boxe:celle du rêve (américain) obtenu à la force des poings mais aussi de la souffrance, et celle de la 2e chance qui passe parfois pour ceux qui n’y croyaient plus forcément.

Graine de violence

Certains cinéastes ont filmé -et/ou incarné- la boxe sur un ton comique, tels Charlie Chaplin en 1931 dans City Lights et auparavant dans le court métrage The Champion (en 1915!) ou Jacques Tati dans Soigne ton gauche (1936), mis en scène par René Clément sur un scénario du futur réalisateur de Mon oncle, qui y tient le rôle principal. Buster Keaton et Harold Lloyd ont eux aussi boxé sur le mode burlesque, respectivement dans Battling Butler (1926, réalisation de Keaton himself) et The Milky Way (Leo McCarey / 1936).

Mais plus généralement, c’est bien sûr la violence, parfois poussée jusqu’à l’extrême brutalité (voire à la mort), qui domine les représentations de la boxe à l’écran. La scène d’ouverture de The Killers (1946), le maître film noir de Robert Siodmak, marquant un des sommets du genre avec la « punition » que subit un Burt Lancaster transformé en punching ball humain. Le ring étant souvent filmé comme une arène sanglante. Sauf peut-être quand des séducteurs mettent les gants, tels Yves Montand dans L’Idole d’Alexandre Esway en 1946, Alain Delon dans Rocco et ses frères de Visconti en 1960, Jean-Paul Belmondo dans L’Aîné des Ferchaux de Melville en 1962, ou -en 1974- Gérard Depardieu dans Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet… l

TEXTE LOUIS DANVERS

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