Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

VINGT-CINQ ANS APRÈS BOUCHE DU DIABLE, BOUCQ RETROUVE CHARYN POUR UNE ODYSSÉE SOMBRE SEULEMENT ILLUMINÉE PAR L’ART DU TATOUAGE ET DU DESSIN, CHER À L’AUTEUR.

Little Tulip

DE FRANÇOIS BOUCQ ET JÉRÔME CHARYN, ÉDITIONS LE LOMBARD, 88 PAGES.

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Paul, tatoueur surdoué dans le New York de 1970, est aussi portraitiste pour la police, capable de croquer le visage d’un suspect sur quelques indications, voire en « sentant » une scène de crime. Seul Bad Santa, serial killer qui égorge et viole ses victimes, semble échapper à son crayon… Or Paul ne s’est pas toujours appelé Paul. « Ma vie a commencé et pris fin en 1947« , lorsque sa famille, émigrée de Manhattan à Moscou, est condamnée pour espionnage et envoyée dans un goulag sibérien. Paul y est alors le petit Pavel, livré à lui-même, aux gardiennes pédophiles et aux « Ukras » ukrainiens d’une rare violence. Seuls les Pakhany, criminels sectaires et sanguinaires, « bannis ailleurs, princes ici« , vont lui offrir une (mince) lueur d’espoir, en l’initiant à l’art du tatouage, seul terrain d’expression et de création dans cet enfer. Pavel y deviendra Little Tulip, du nom de son premier tatouage à l’encre, « un dessin qui symbolise tout nouvel initié à nos mystères« . Un dessin que le petit Pavel s’appliquera à lui-même en utilisant la main tranchée de son père. Un acte fou, qui le poursuivra jusqu’aux bas-fonds de New York.

Le dessin pour sujet

« Nous avons repris contact Jérôme et moi lorsque Le Lombard a décidé de rééditer La Femme du magicien et Bouche du Diable, nos deux albums réalisés il y a 25 ans avec (A suivre), explique François Boucq, au sommet de son art dans cet impressionnant Little Tulip. Et on a sauté sur l’occasion! Depuis longtemps, j’avais envie d’une histoire de dessinateurs, d’un sujet qui montre l’importance du dessin, très peu traité comme sujet en bande dessinée. Et je suis tombé sur le travail de Danzig Baldaev, un ancien gardien de goulag qui avait entrepris une véritable étude de la culture carcérale, en particulier sur les tatouages de prisonniers. Il en a consigné des centaines, avec leur signification. Je me suis servi de cette formidable matière. Jérôme a fait le reste. »

Jérôme Charyn, le seul grand romancier américain à vouer une véritable passion aux dessinateurs européens (il a aussi travaillé avec Munoz et Loustal), confirme: « François a un rapport au dessin presque mystique, qu’il a intégré à cette histoire. Et notre relation de travail n’a pas vraiment changé depuis le temps, si ce n’est qu’il est devenu un bien meilleur artiste encore! » Sentence qu’on ne peut que confirmer à la lecture de ce Little Tulip: Boucq, littéralement habité par son sujet, passe de scènes d’une rare violence à des moments de poésie, eux-mêmes portés par ce principe de dessins dans le dessin, les tatouages de Little Tulip narrant d’autres histoires dans l’histoire.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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