DIX ANS APRÈS LE DRAME DE VILNIUS ET LA MORT DE MARIE TRINTIGNANT, BERTRAND CANTAT REVIENT AVEC PASCAL HUMBERT, DÉTROIT ET UN DISQUE, HORIZONS, À LA FORCE SOBRE, SOMBRE ET INTERPELLANTE.

« Bertrand est la seule personne qui pouvait me faire revenir en France. » En janvier 2012 au théâtre de Namur, Pascal Humbert (Passion Fodder, 16 Horsepower, Wovenhand…) confie qu’il va bientôt se mettre au travail avec l’ancien chanteur de Noir Désir. Ensemble, ils jouent dans le cycle Des Femmes, trois histoires de Sophocle, un spectacle de Wajdi Mouawad dont ils ont composé la musique avec les Québécois Bernard Falaise et Alexander MacSween. Premier album de Cantat depuis le drame, Choeurs, le disque qui l’accompagne, est une merveille. Tendu. Viscéral. Humbert vit aux Etats-Unis au milieu de nulle part dans un ranch qu’il a construit de ses propres mains. Personnage improbable à l’existence solitaire, genre qui avoue s’être acheté un fusil après s’être retrouvé plusieurs fois nez à nez avec des ours…

Presque deux ans plus tard, Horizons, le premier album de Détroit, avancé d’une semaine afin de ne pas coïncider avec La Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, sort dans les bacs ce 18 novembre. Les séances d’enregistrement se sont déroulées au studio Vega à Carpentras cet été. Cantat a coécrit Droit dans le soleil, premier extrait qui en a été dévoilé, avec Wajdi Mouawad. Ce titre, l’auteur et homme de théâtre, à qui l’on doit notamment Incendies, récit incroyable adapté au cinéma par Denis Villeneuve, en a capté la guitare et la voix à Be-ït-el-Din (Liban), à l’aube, sur un appareil portatif.

Si l’homicide a débouché sur la fin de Noir Désir et l’opprobre, Humbert et Mouawad ne sont pas les seuls artistes à avoir soutenu Bertrand Cantat dans son processus de reconstruction… Parmi ceux qui tendent musicalement la main à Cantat le paria depuis sa sortie de prison en 2007, il y a d’abord Romain Humeau et son groupe Eiffel avec lesquels l’ancien chanteur de Noir Désir revient à la scène le 2 octobre 2010 à Bègles dans l’agglomération bordelaise. Les deux hommes sont amis de longue date. En 2001, Humeau signait déjà les arrangements de Des Visages des figures, titre qui donna son nom à l’ultime album de Noir Désir. C’est d’ailleurs avec lui et sa compagne Estelle (et Serge Teyssot-Gay à la guitare), dans le studio des Romanos installé au fond de leur jardin, à Bordeaux, qu’il enregistre en 2008 Le Temps des cerises. Le dernier disque d’Eiffel, dont Cantat coécrit et interprète une chanson, est même dédié à son ex-femme, suicidée, Kristina Rady.

Amadou, Mariam et Brigitte Fontaine…

Après Eiffel, viennent Amadou et Mariam. Cantat les rencontre à la fin d’un concert à Bordeaux. Via un vieux pote à lui, Marc-Antoine Moreau. Ils ne connaissaient pas bien Noir Désir. Ils l’ont entendu à la radio. Et ils ont besoin d’une voix rock. Il part au Mali. Ils parlent beaucoup musique. Elle se dit transportée par son timbre et pense lui avoir fait découvrir un peu de la musique africaine. « Ils m’avaient dit qu’un voyage à Bamako me ferait du bien et ils avaient raison. » Les répétitions sur le toit de leur maison, la simplicité et la spontanéité des Maliens lui insufflent une nouvelle énergie. Et puis il y a la leçon de vie et d’humilité dont seuls les Africains ont le secret. Le blues et les racines communes aussi. Il participe à six morceaux de leur album Folila. Le tandem se fera épingler jusque dans les colonnes du Guardian. On ne fricote pas impunément avec un artiste qui a donné la mort, même quand il a purgé sa peine…

C’est encore à Bordeaux que l’ignoble (mais ça c’est une autre histoire) groupe d’électro rock Shaka Ponk fait par hasard la connaissance de Cantat en mars 2011, dans une salle, le Krakatoa, tenue par son ancien manager. Avant même qu’ils se rencontrent, quand on leur reprochait de ne pas s’exprimer dans leur langue maternelle, les Shaka Ponk répondaient que le jour où le chanteur de Noir Désir serait dispo à côté d’eux avec un stylo, ils écriraient en français. La chanson Palabra Mi Amor est née d’échanges sur la musique, de discussions, d’un gueuleton et d’une guitare qui traîne…

Ses vieux potes, les Sud-Américains bordelais de Guaka, puis surtout la grande Brigitte Fontaine, lui ont également remis le pied à l’étrier. Fontaine l’a invité sur son album L’Un n’empêche pas l’autre (2011), puis sur la scène du Trianon (2012) et parle de lui comme du « plus grand chanteur français depuis Bashung« . Il renaît définitivement aujourd’hui. Un peu grâce à eux. Envers et contre tout.

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TEXTE Julien Broquet

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