ADEPTE DE L’ÉCONOMIE ET DE LA SIMPLICITÉ, JAMES MARSH, LE CINÉASTE ANGLAIS DE SHADOW DANCER,N’A QUE FAIRE DES CONVENTIONS.

James Marsh balade une dégaine de rock star élégamment fatiguée, des allures de Bob Geldof avec la voix et l’esprit d’entreprise en moins, mais un solide talent de réalisateur en plus. Pas étonnant qu’il ait pu, voici une quinzaine d’années, consacrer un documentaire à Monsieur John Cale, le génial Gallois du Velvet Underground! Le docu est la première passion de Marsh, qui a notamment signé l’extraordinaire Man On Wire (2008) sur Philippe Petit, l’homme qui marcha sur un fil tendu entre les tours défuntes du World Trade Center en 1974. Un Oscar est venu consacrer cette remarquable réussite. Mais le natif de Cornouailles est aussi grand amateur de cinéma de genre, comme l’a prouvé son épisode (le deuxième, Red Riding 1980) de la trilogie culte Red Riding, un sommet de polar « noir » à l’anglaise qui glace le sang et laisse des frissons. Aujourd’hui, c’est au thriller à dimension politique que s’attaque le long, quelque peu ténébreux mais aussi très sympathique James. Un Shadow Dancer personnel et prenant, où brille Andrea Riseborough.

Dans Man On Wire, vous partiez d’un matériau de départ très réduit (il existe très peu d’images d’époque de l’exploit de Petit) pour obtenir un résultat captivant. Dans un autre registre, vous pratiquez aussi dans Shadow Dancer l’art du « less is more », retenue et sobriété pour tension maximale…

Je dois avoir ça en moi (rire)! Je pense en tout état de cause que là réside une des plus formidables réussites du cinéma: le fait que vous pouvez représenter les choses de manière très simple mais avec un effet d’autant plus puissant. C’est vrai dans le domaine du documentaire, où ce dont vous disposez comme archives est souvent très limité… et échappe à votre contrôle (vous trouvez juste ce que vous trouvez, débrouillez-vous avec!). Mais c’est aussi vrai dans la fiction, où le chemin le plus efficace vers la vérité humaine, l’émotion que vous voulez atteindre, est celui qui se passe d’effets tarabiscotés ou de constructions coûteuses. Bresson est un modèle d’économie, de simplicité. Bunuel est un merveilleux minimaliste. Et dans le film de genre, le thriller, Hitchcock a pu disposer parfois de moyens importants, mais ses meilleures scènes de suspense sont celles qui reposent sur presque rien. Avec ce rien, il vous rivait à votre fauteuil, vous étiez concerné, captivé! Il faut faire confiance au pouvoir de l’image, et aussi faire confiance au spectateur qui « travaille » à ajouter de lui-même à ce que vous lui présentez.

Dans Shadow Dancer, vous vous gardez bien d’être explicite, d’en dire trop. Il y a très peu de dialogues explicatifs…

J’ai voulu donner au spectateur le même niveau d’information que les protagonistes. Vous vous identifiez aux personnages, vous vous efforcez de tirer vos conclusions de ce qu’ils savent, de ce que vous savez. Vous nouez les fils car si chaque personnage sait seulement peu de choses, vous, vous savez le total de ce qu’ils savent séparément. Je trouve de la vertu à cette approche…

La liberté, pour un réalisateur, passe par le fait de refuser d’entrer dans certaines conventions? Votre mise en scène de Shadow Dancer semble illustrer cela…

Prenons un exemple: il y avait dans le script, très élaboré, une longue et fort compliquée séquence de poursuite automobile. Un truc qui aurait sans nul doute eu sa place dans un film de Jason Bourne. Mais pour mon film, cette scène paraissait, d’avance, extrêmement laborieuse et ennuyeuse. Comme de toute manière nous n’aurions pas le budget pour la maximaliser, j’ai proposé de jouer a minima tout en créant un suspense au moins équivalent avec juste l’aide d’un train. Et d’une performance de mon actrice propre à créer bien plus de tension en vous que l’attente d’un accident ou d’une explosion. Il m’a suffi de penser au Pickpocket de Bresson…

Andrea Riseborough est une révélation dans le rôle de Colette, après des passages remarqués dans Made In Dagenham, Brighton Rock et Never Let Me Go

Andrea offre un merveilleux exemple de complexité contenue sous une surface tout en simplicité. Quand elle lance un regard, quand elle pose un geste, le spectateur aperçoit non seulement ce que ce regard exprime, ce que ce geste signifie, mais aussi et simultanément ce qu’ils trahissent sans vouloir le trahir. Sa justesse est dans cette faculté du non-dit, cette aptitude à ne pas laisser deviner la décision qu’elle prendra finalement… tout en vous faisant croire que vous pouvez le faire. Cela n’a rien à voir avec la psychologie mais tout avec le talent d’être acteur.

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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