Est-ce pour se faire pardonner une aussi longue absence? Discrète depuis 2 ans pour ainsi dire, et le Copie conforme d’Abbas Kiarostami, Juliette Binoche se prépare à squatter les écrans dans les mois à venir: on la verra tout prochainement à l’affiche de Elles de Malgorzata Szumowska, avant le Cosmopolis de David Cronenberg que la rumeur annonce à Cannes, et elle s’apprête par ailleurs à tourner avec Bruno Dumont, pour qui elle incarnera Camille Claudel -rôle tenu en son temps par Isabelle Adjani dans le film de Bruno Nuytten.

Son actualité immédiate, c’est toutefois la sortie de La vie d’une autre, le 1er long métrage de Sylvie Testud. Elle y tient le rôle principal, celui de Marie, une femme qui se réveille un matin frappée d’une curieuse forme d’amnésie. « L’idée d’avoir perdu 15 années de sa vie, et de ne plus se reconnaître, c’est une question que l’on se pose tous, commence-t-elle. A un moment donné, on a fait un contrat avec soi-même, on est tombé amoureux, on a des ambitions, une passion. Et puis, 15 ans après, tout à coup, on ne se reconnaît plus, et on est horrifié de ce qu’on a perdu, des choix qu’on a faits. La perte de reconnaissance d’une partie de soi-même me semble être un thème important. »

L’habitude, c’est la mort

Quinze ans, cela nous ramène, dans le chef de l’actrice, à l’époque où elle tournait The English Patient, pour Anthony Minghella. Lui demande-t-on, en écho à la même question posée à sa réalisatrice, ce que penserait la Juliette d’alors, voire même celle que révélait Rendez-vous, de Téchiné, de la Binoche d’aujourd’hui, qu’elle botte en touche: « Je ne sais pas très bien quoi vous répondre. Peut-être que cela irait dans des choses trop personnelles. » A quoi elle ajoutera néanmoins: « Heureusement qu’il m’est arrivé de m’égarer. Ce n’est qu’en se trompant que l’on peut savoir où on a envie d’aller. Il est important de ne pas avoir peur des transgressions, d’aller dans des endroits où on ne vous attend pas, et où je ne m’attends pas forcément. Dans un élan artistique, si on n’est pas prêt à se remettre en question, à avoir le courage d’aller dans des lieux inconnus ou un peu dangereux, je crois qu’on ne risque pas assez sa vie. Il y a un enjeu à avoir à chaque projet. » Et de ponctuer l’envoi: « L’habitude, dans ce métier, c’est la mort. »

Cette exigence, elle imprègne une filmographie sinueuse, qui l’a vue évoluer de Carax à Hou Hsiao-hsien; de Haneke à Assayas; de Boorman à Ferrara, et on en passe, mouvement exécuté au rythme d’une passion chaque fois réinventée. Constat auquel ne déroge d’ailleurs pas La vie d’une autre qui lui a valu d’entretenir parallèlement 2 états opposés, l’un voisin de la panique suscitée par une expérience proche de la désintégration du moi; l’autre tenant d’un décalage quasi burlesque. Un double registre dans lequel elle s’est fondue avec un bonheur palpable. « Pour moi, jouer c’est comme un croquis. Il faut jeter le premier trait sans penser. A partir de là, on peut aller vers, etc. Mais je ne veux pas m’abreuver de paroles, n’y m’intellectualiser avant d’y aller. Pour moi, le jeu, ce n’est pas du texte, ce n’est pas intellectuel, c’est une incarnation. Et c’est différent: il faut croire pour que le corps se transporte, se transforme. » Et que, dans la foulée, le scénario se mue en vie. « Et ça, c’est une question énorme. »

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

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