NOUVELLES ORIENTALES. TRAITÉ DE CORRUPTION, FABLE VOLTAIRIENNE, ENCYCLOPÉDIE DES MOURS NIPPONNES, RIEN N’ÉCHAPPE À UN ROMAN MAGISTRAL, VÉRITABLE CREUSET D’INVENTIVITÉ.

DE DAVID MITCHELL, ÉDITIONS DE L’OLIVIER, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR MANUEL BERRI, 702 PAGES.

L’histoire débute à Dejima, près de Nagasaki en 1799. Les Hollandais y vivent la fin de l’époque de gloire de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, après que les catholiques aient été chassés du Japon. Dans ce comptoir commercial perdu à la lisière d’un Japon secret et protocolaire, Jacob de Zoet, un jeune clerc ambitieux et idéaliste, est chargé de traduire les conversations qui opposent l’Orient et l’Occident. D’un côté, les Bataves, présentés comme des êtres prosaïques que seul l’appât du gain anime et de l’autre, le peuple nippon fascinant par sa maîtrise de soi et sa capacité à se prémunir de tout écart fâcheux:  » Quand le Magistrat Shiroyama prend ses fonctions à Nagasaki, le Magistrat Omatsu réside à Edo, et vice versa. Il y a une rotation annuelle. Si l’un d’eux venait à commettre quelque indiscrétion, son homologue s’empresserait de le dénoncer. Dans tout l’Empire, chaque poste de pouvoir est ainsi divisé et, de ce fait, neutralisé. »

Ces 2 peuples s’exècrent alors que tous 2 baignent en réalité dans la corruption, la prostitution, l’espionnage et le vice sous toutes ses formes. Sade n’aurait pas été peu fier de les parrainer! Mais l’un pratique l’art de la cruauté subtile qui sauve les apparences et l’autre, une perversion assez animale. D’un côté, on mise sur la finesse d’un langage complexe, de l’autre, on marchande dans une drôle de langue – » on croirait entendre quelqu’un s’étrangler en lapant de la boue ».

Pudeur calviniste

Heureusement, quelques personnages émergent de ce monde où, de part et d’autre, chacun considère que  » l’esclavage est une faveur qu’on accorde aux races inférieures, qui peuvent continuer à vivre en échange du travail qu’elles fournissent ». A commencer par la figure emblématique du Docteur Marinus, botaniste cartésien aussi bourru qu’attachant qui restera aux côtés de Jacob de Zoet dans les pires moments; et puis aussi cette jeune sage-femme Aibagawa, au visage à demi brûlé dont Jacob tombera éperdument amoureux. Malheureusement une pudeur toute calviniste l’empêchera de se déclarer et le pauvre clerc sera contraint de la voir livrée à l’inquiétant Seigneur-Abbé, maître de go, qui la séquestrera comme esclave sexuelle dans son temple de Shiranui.

Rythme haletant, puissance romanesque hors du commun, florilège de personnages ingénieusement croqués, le Britannique excelle en tous points, et surtout dans le rendu de cette langue néerlandaise que s’appliquent à parler les Japonais avec une syntaxe plus qu’approximative.

D’ores et déjà couvert de prix, David Mitchell est, selon le New Yorker, qui le compare à Nabokov et Saramago,  » l’un des rares écrivains dont la disposition pour l’artifice est proprement surnaturelle« . On ne saurait mieux dire…

MARIE-DANIELLE RACOURT

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