PAUL GIAMATTI ET PHILIP SEYMOUR HOFFMAN CROISENT LE FER DEVANT LA CAMÉRA DE GEORGE CLOONEY, DANS UN THRILLER POLITIQUE PLONGEANT AU COUR DES ARCANES DU POUVOIR…

Quatrième long métrage de George Clooney réalisateur, The Ides of March le voit renouer avec la veine qui lui avait déjà souri dans Good Night, and Good Luck, celle du cinéma politique. Au c£ur du film, inspiré de la pièce Farragut North de Beau Willimon, la course à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine. Si le gouverneur Morris fait la course en tête, tout charme dehors, assorti d’un charisme incontestable -Clooney n’a laissé à nul autre le soin de l’interpréter-, un duel sans merci agite les coulisses de la campagne. Tous les coups semblent permis, en effet, ou peu s’en faut, les états-majors des 2 candidats en lice s’écharpant avec le sourire, sous la conduite de leurs directeurs respectifs dont l’on pourrait croire qu’ils ont fait le deuil de leurs scrupules, voire de leur idéal dans un même mouvement.

Pour incarner ceux-là, « spin doctors » d’autant plus redoutables que leurs appétits sont aiguisés, Clooney a fait appel à 2 pointures du cinéma américain, Philip Seymour Hoffman et Paul Giamatti, 2 acteurs dont la présence est généralement synonyme d’excellence -postulat vérifié de Almost Famous en Sideways; d’ American Splendor en Capote, et que confirme encore The Ides of March. Curieusement, le duo n’avait jamais eu l’occasion de tourner ensemble. Des profils trop similaires, peut-être – « J’imagine que l’on nous propose le même type de choses », relève le second-, et une situation qui a, en quelque sorte, débordé sur leur mano a mano à l’écran, où ils n’en finissent pas de croiser le fer, doubles amenés à ne jamais se rencontrer, ou alors si peu: « Que des individus à ce point liés ne se retrouvent jamais ensemble n’est pas pour me déplaire, observe Hoffman. J’ai toujours trouvé cette dynamique intéressante dans les drames.  »

Morale et idéalisme

Plongée dans les coulisses de la politique et dans les arcanes du pouvoir, The Ides of March dépeint un monde pas spécialement beau à voir -âmes sensibles, s’abstenir, comme l’on dit. S’agissant d’hommes de l’ombre, opérant autant en sous-main qu’en pleine lumière, on imagine les acteurs avoir mené de longues recherches, pour se voir opposer un démenti par Giamatti: « Depuis les années 90, le public américain a eu l’occasion de se familiariser avec la façon dont fonctionne la politique. Beaucoup de ces conseillers sont devenus des sortes de célébrités, que l’on voit s’exprimer à la télévision, où ils ont leurs propres shows. Je n’ai donc pas dû faire beaucoup de recherches, mais bien trouver un moyen de l’interpréter. J’aurais tendance à croire que la réalité est pire que ce que donne à voir le film, et que ces types peuvent se révéler bien plus méchants encore.  » Vient se greffer à cela une morale à géométrie variable, où la loyauté constitue cependant une vertu cardinale: « C’est le job qui veut cela, souligne Hoffman. Un personnage comme celui que j’interprète doit être sûr, jusqu’à la paranoïa, d’avoir le soutien à 100 % des gens qui l’entourent, et de leur entier dévouement à leur candidat. Sans quoi il ne pourra mener sa mission à bien. Rien ne dit qu’il est comme cela dans sa vie privée; c’est la fonction qui change la perspective. « 

Le film, du reste, ne va pas sans crucifier diverses illusions, quand il ne sacrifie par l’idéalisme résiduel de ses protagonistes sur l’autel de la realpolitik. « L’idéalisme dit bien ce qu’il est, poursuit Hoffman. La vie ne l’autorise pas vraiment. C’est quelque chose de positif en ce sens qu’il inspire des gens et leur permet de prendre conscience qu’ils ont la possibilité d’affirmer un point de vue, d’exister dans le monde ou d’y lutter pour quelque chose. Mais le point de vue idéaliste de l’un ne sera pas celui de l’autre, et cela peut mener à des situations potentiellement très dangereuses, quand quelqu’un pense que son idéal devrait être celui de tout un chacun. Cette idée me paraît étrange et effrayante, et ne correspond pas au monde dans lequel j’aimerais vivre. Par essence, l’idéalisme doit se nourrir de compromis et pouvoir être tempéré. « 

La politique en mode cynique

D’idéalisme à irréalisme, il n’y a que 2 lettres, et un pas, franchi sans doute par le gouverneur Morris dans un programme prévoyant notamment la suppression de la dépendance au pétrole par le recours aux carburants alternatifs; programme qui le situe à gauche toutes du parti Démocrate américain. « Obama n’endosserait pas un tel discours, il ne le pourrait d’ailleurs pas, opine Paul Giamatti. Mais la pièce dont est tirée le film était basée sur Howard Dean (candidat malheureux à l’investiture démocrate en 2004, ndlr) dont les propos n’étaient pas moins radicaux. C’est d’ailleurs pourquoi il a explosé à ce point, devenant une figure immense pendant un court laps de temps. Il disait des choses de ce genre. Mais voyez les Républicains: combien ne sont-ils pas, de leur bord également, à tenir des discours un peu fous? Je pense que les Américains trouvent cela rafraîchissant. Ils ne vont pas nécessairement voter pour eux, et ne feront pas d’eux des présidents, mais ils apprécient que des gens, des 2 côtés du spectre politique, leur tiennent des propos un peu dingues.  »

The Ides of March adossant bientôt le discours à un contexte torve pour le moins, le film s’avère d’une noirceur assumée. De quoi véhiculer une vision cynique de la politique? « Je ne pense pas, soupèse Hoffman. Les gens sont habitués à ce genre d’histoires, c’est juste la façon dont sont les choses. Pour moi, la question est plus de voir comment ces histoires que l’on lit ou dont on entend parler peuvent vraiment affecter la vie d’individus…  » Ose-t-on encore un rapprochement avec les années 70, référence esthétique manifeste de George Clooney qu’il ponctue: « Je n’ai pas le sentiment que les années 70 aient été une époque meilleure. Pour le cinéma, peut-être, mais pas pour la politique. Certainement pas, il y a quand même un président qui a été l’objet d’une procédure d’impeachment… «  Le film empruntant son titre à l’histoire romaine, on conclura donc par une citation latine: la Roche Tarpéienne est proche du Capitole…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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