Les filles de Gilbert

Membre de l’Atelier Mille, Thomas Gilbert s’installe parmi les auteurs qui comptent, avec, entre autres, cette réinvention des célèbres sorcières de Salem.

Au XVIIe siècle dans le Massachusetts, il ne faisait pas bon être femme. Ni animiste. Ni ado. La petite Abigail Hobbs, quatorze ans, a eu le tort d’avoir un peu de tout ça en elle. Elle sera pendue en 1692 comme 19 autres femmes de Salem Village, après un procès en sorcellerie entré dans l’Histoire comme un dernier hoquet brutal et absurde du Moyen Âge, avant des temps soi-disant modernes, et la naissance des États-Unis. Un fait historique maintes fois revisité en littérature, au théâtre ou au cinéma, de la pièce d’Arthur Miller au tout récent The Witch, la plupart du temps pour en faire la métaphore de maux autrement plus contemporains. Le trentenaire Thomas Gilbert ne déroge d’ailleurs pas à la règle: son récit contre l’obscurantisme et la domination masculine se lit évidemment à la lumière des extrémismes et des dominations d’aujourd’hui. Il y a ici bien plus d’ignorance et de stupidité que de sorcellerie, mais aussi 200 planches aussi belles que denses, nouveau jalon important dans la carrière personnelle de l’auteur français installé à Bruxelles, dans un environnement qui visiblement lui sied bien.

Les filles de Gilbert

Racines obscurantistes

Né à Angers mais formé à Saint-Luc à Bruxelles, ville qu’il n’a plus quittée depuis, Thomas Gilbert mène depuis dix ans une carrière remarquable et d’ailleurs remarquée entre séries jeunesse ( Bjorn le Morphir avec Thomas Lavachery ou le plus récent Nordics avec Fabien Grolleau) et albums plus personnels, qu’il scénarise lui-même ( Oklahoma Boy, Sauvage ou la sagesse des pierres), et où le rapport au corps et à la nature sont au centre et de ses sujets et de sa graphie. Une étonnante force de production qui n’entame en rien le soin qu’il apporte à ses planches: trois ans de travail auront ainsi été nécessaires à ces Filles de Salem qui reviennent aux racines obscurantistes de ce drame historique, et au rôle déterminant joué par les élites et l’État dans ce qui fut réellement un procès, aussi absurde soit-il. Dérive du fanatisme, société patriarcale, ignorance… Il reste, en 2019, des leçons à tirer de ce fait divers de 1692. Leçons que l’auteur partage d’évidence avec la plupart de ses collègues de l’Atelier Mille, un atelier d’artistes devenu un nouveau vivier BD: là se côtoient, outre Gilbert, des auteurs et autrices comme Nicolas Pitz, Jérémie Royer, Flore Balthazar et Léonie Bischoff, tous en train de construire des oeuvres de bande dessinée très contemporaines, mâtinées d’engagements humanistes, féministes et écolos. Et pavées de bons albums.

Les Filles de Salem

De Thomas Gilbert, éditions Dargaud, 200 pages.

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