Ben alors, il est passé où l’enfant-roi? Vous savez, ce tyran miniature qui faisait payer à ses parents et bientôt à la société toute entière un début de vie certifié sans frustrations. A trop vouloir son « bien », et à force de croire que le bonheur passe par la satisfaction instantanée de tous ses désirs, papa et maman qui ont lu Dolto de travers ont mis au monde un monstre d’égoïsme. On en connaît tous des hypertrophiés du moi, teigneux et manipulateurs -parfois ce sont même les nôtres-, qu’on a juste envie de baffer dès que le délégué général aux droits de l’enfant a le dos tourné…

Les messages de prévention commenceraient-ils à porter leurs fruits? La fiction distille en tout cas des indices d’un changement d’attitude à l’égard des petits bijoux de famille. Et c’est par la dérision que s’expriment ces sentiments contradictoires qui habitent tout adulte un peu sensé: on tient à eux comme à la prunelle de nos yeux et pourtant, il arrive qu’on ait juste envie de les balancer par la fenêtre. Non, maman n’est pas toujours souriante et dévouée. Oui, elle a parfois envie de se mettre la tête à l’envers avec ses copines et de gueuler un bon coup quand la journée a été chahutée. Non, papa n’est pas un super copain de plus de ta bande. Oui, ça lui arrive de préférer lire tranquillement son bouquin que de jouer la millième partie de Uno.

Dans le premier volet de Moi, moche et méchant, le cynique Gru n’hésite pas à exploiter les trois petites orphelines qu’il a adoptées pour servir ses plans machiavéliques contre son ennemi juré Vector. Il symbolise à l’extrême ce nouveau père décomplexé qui ne se sent pas submergé par une vague de tendresse à la simple vue d’une frimousse pré-pubère. Chacun peut projeter ses fantasmes sadiques sur ce vengeur des parents persécutés… Venant d’un studio aussi établi qu’Universal, le signal était fort. Les parents parfaits n’existent donc pas. Ouf!

On quitte l’animation mais on reste dans le cinéma avec le tout frais Papa ou maman de Martin Bourboulon, qui prend le contrepied du schéma habituel en présentant un couple en instance de divorce (Marina Foïs et Laurent Lafitte) dont chacun va tout faire pour ne pas avoir la garde des enfants. Comment? En étant le plus odieux possible pour les dégoûter. Le ton de la comédie loufoque désamorce complètement le côté cruel de l’affaire. Mais qu’un pitch décomplexé par rapport à ces questions sensibles arrive à maturité est symptomatique du fait que l’enfant-roi est peut-être en train de tomber de son piédestal.

La fiction qui se fout gentiment des marmots devient presque un genre en soi. Tout le monde a entendu parler du Guide du mauvais père de Guy Delisle, phénomène de librairie dont le troisième tome vient de sortir. L’auteur y empile les petites tranches de vie, qu’on devine largement autobiographiques, d’un paternel pas toujours bien intentionné à l’égard de sa progéniture. Par impatience, par égoïsme ou par puérilité, il s’énerve, il se contredit, il donne le mauvais exemple. Une attitude politiquement incorrecte qui lui fait du bien et montre en même temps aux gosses le vrai visage des adultes quand ils arrêtent de faire semblant d’être des bisounours. Comme dans cette saynète de la lecture du soir où, agacé par le feu roulant des questions de sa fille sur le sort de Boucle d’or qui a fui la maison des trois ours, il finit par lâcher « qu’ils l’ont retrouvée grelottant de froid au petit matin et ils l’ont bouffée« , que « ça lui apprendra à entrer chez des inconnus et à se servir comme si elle était chez elle« , et que c’est « bien fait pour sa gueule! »

Riad Sattouf avait senti le vent tourner avant tout le monde dans La Vie secrète des jeunes, paru en 2008. Une des chroniques inspirées de scènes vues et entendues dans la vraie vie, ici « rue des Pyrénées à Paris » comme il le précise dans l’en-tête, une mère bien énervée tance son gamin dans la rue en lui balançant que « Non! Un enfant n’a pas le droit à la parole! Un enfant n’a pas à discuter! » « A huit ans, c’est a-nor-mal de parler, de discuter!« , avant de conclure « Tu n’es rien! Rien du tout! Absolument rien! »

Bon d’accord, elle y allait un peu fort mais vous avez compris l’idée. L’important, c’est que la réaction, même dans l’exaspération, reste… bon enfant.

PAR Laurent Raphaël

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