QUATRE ANS APRÈS DES HOMMES ET DES DIEUX, XAVIER BEAUVOIS BALANCE ENTRE DRAME SOCIAL ET COMÉDIE, DANS UN FILM REVENANT SUR UN FAIT DIVERS IMPROBABLE, LORSQUE DEUX LOUSTICS, CAMPÉS PAR BENOÎT POELVOORDE ET ROSCHDY ZEM, AVAIENT DÉROBÉ LE CERCUEIL DE CHAPLIN

« Je vous réponds uniquement si votre article commence par: « Benoît Poelvoorde est un immense génie. » En caractères grands comme ça! » Et Xavier Beauvois de joindre le geste à la parole, forcément. Rencontrer le réalisateur du Petit lieutenant est une expérience peu banale: la discussion suit un fil incertain, allant là où bon lui semble, en mode décousu, toutes. Inutile, par exemple, de l’interroger sur la genèse de La Rançon de la gloire, son nouveau film; tout au plus s’il consentira à observer: « Un type qui enlève le cercueil de Chaplin, si ce n’est pas un film, c’est quand même abracadabrant. A se demander pourquoi personne n’y avait pensé avant… »

Le scénario s’inspire en effet d’un fait divers hautement improbable, survenu en Suisse en 1977, lorsque, à l’annonce de la mort de Charlie Chaplin, deux charlots plongés dans la mouise jusqu’au cou avaient décidé d’enlever sa dépouille afin d’en tirer une rançon. La réalité dépasse parfois la fiction, comme l’on dit; elle inspire à Xavier Beauvois un film généreux mais en équilibre précaire, à l’image d’une conversation semblant ne plus vouloir cesser de se dérober. Et là, donc, il n’en a que pour son ami Benoît, qui lui a pourtant fait faux bond en cette Mostra de Venise: « Ce type est un génie, même s’il a la bêtise de faire un festival de littérature à Namur maintenant (rire). C’est mon frère, un Stradivarius, un des plus grands acteurs avec qui j’ai travaillé… » En douterait-on, d’ailleurs, qu’il s’empresse d’en remettre une couche: « Dès le début, on s’est trouvé plein de points communs, notre enfance, la part de folie, notre rapport à l’alcool, même la décoration des maisons, le goût, tout d’un coup, c’est comme une évidence. On voit dans le film que je l’adore, et lui me dit ne plus vouloir tourner qu’avec moi (…). »

Le tournage contre le scénario

Comment travaille-t-on avec des comédiens de cette trempe? Beauvois, qui sait ce qu’être acteur veut dire (il fut notamment le Louis XVI de Benoît Jacquot dans Les Adieux à la Reine), insiste sur la nécessité de leur « laisser de l’espace, afin qu’ils puissent jouer ». Une disposition dans laquelle Benoît Poelvoorde et Roschdy Zem se sont engouffrés à loisir, à sa plus vive satisfaction. « Je veux toujours aller contre mon scénario. Comme disait François Truffaut, le tournage, c’est la critique du scénario. Et le montage, c’est la critique du tournage. L’idée, c’est de faire un film mieux que ce dont vous avez envie… », résultat d’une alchimie singulière où interviennent l’équipe, les comédiens et… le feeling, au nom duquel il laissera, par exemple, Poelvoorde improviser une chorégrapie avec Roschdy Zem au son de Zoo Be Zoo Be Zoo, donnant au film une respiration inattendue…

D’autres moments touchent à la grâce pure, comme la scène muette où les deux compères s’exposent leur plan, en un héritage pleinement assumé du cinéma burlesque: « C’est la base de ma formation. Si vous vous intéressez à la peinture, il faut commencer par les grottes de Lascaux. Ça me désole de rencontrer des jeunes pour qui le cinéma débute avec Spielberg (…). On ne peut pas s’intéresser à un art sans le connaître entièrement. » Après avoir parlé de son « frère », le voilà dès lors qui évoque son « père » de cinéma, un Charlie Chaplin dans la maison duquel il a eu le bonheur de pouvoir tourner –« Pour moi, c’était comme un temple: La Mecque pour un musulman. Chaplin est un dieu, j’ai visité toute la maison, je la connais par coeur, j’y ai senti des ondes positives », s’enflamme-t-il. Et d’en montrer, tout à son enthousiasme, les photos qui garnissent la galerie de son portable (moment que choisit Benoît, qui d’autre?, pour lui envoyer un texto). Et de poursuivre: « Chaplin, c’est un petit peu comme le génie dans sa bouteille, comme Aladin. Ils le sortent, et il va leur donner un voeu à chacun. » Lequel conduira Eddy/Poelvoorde à se réinventer sur la piste aux étoiles: « Le cirque est le symbole du cinéma. C’est le côté autobiographique du film. Quand j’étais à l’école, on me disait toujours: « Il faut que tu arrêtes de faire le clown. » Et maintenant, je fais le clown, mais on me paie pour ça, c’est bien. Au lieu de montrer quelqu’un happé par le cinéma qui lui sauve la vie, j’ai choisi le cirque. » Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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