Si l’humour noir et/ou absurde constitue, au même titre d’ailleurs que la causticité, une composante essentielle de leur oeuvre, la filmographie des frères Coen se décline en deux versants distincts, l’un sensiblement plus sombre (allant de Barton Fink à A Serious Man en passant par No Country for Old Men), et l’autre résolument plus léger. Un postulat affirmé dès 1987 et leur deuxième long métrage, Raising Arizona, et qui devait se vérifier ensuite de The Hudsucker Proxy en O Brother Where Art Thou, parmi d’autres. Récit d’évasion rocambolesque, ce dernier ouvrait une longue collaboration avec George Clooney, l’acteur semblant depuis être devenu le dépositaire de la tendance « light » du cinéma des brothers, à laquelle ressortent les quatre films de la « Coen-Clooney connection », trois d’entre eux composant même ce qu’Ethan a baptisé la Trilogie des Idiots, à savoir O Brother, Intolerable Cruelty et, aujourd’hui, Hail, Caesar!

Clooney y trouve un rôle pas piqué des hannetons, il est vrai, celui d’une star infatuée sortie tout droit de l’âge d’or de Hollywood, et projetée au coeur d’un imbroglio doucement délirant. Soit le contrepied du « type casting », suivant une logique exposée par Ethan toujours: « Nous aimons le mettre dans ce type de situation, parce que quand vous avez affaire à un type intelligent, au physique avantageux, vous n’avez pas nécessairement envie d’encore renvoyer cette image de lui. » Et Joel de compléter: « Nous avons décelé très tôt qu’il avait un potentiel inexploité d’acteur de comédie, et les qualités lui permettant d’endosser ce type de rôles. George est dénué de toute vanité de star et doté d’un grand sens de l’humour. Il prend autant de plaisir à jouer ces personnages stupides que nous à le regarder le faire. » Démonstration avec ce nouveau film où l’acteur arbore en outre les attributs du péplum, jupette et autres sandales, avec un aplomb et un ridicule assumé qui forcent le respect…

Plaisirs pas même coupables

Mais si la filmographie des Coen se décline côté pile et côté farce, c’est aussi parce qu’un principe d’alternance semble présider à leur parcours. « Nous consacrons en moyenne un an et demi à un film, pose Ethan. Une fois qu’il est terminé, nous avons envie de passer à quelque chose de différent. En un sens, chaque nouveau film se fait en réaction négative au précédent. » Ce qui explique sans doute qu’à Blood Simple aient succédé Raising Arizona et son ahurissant enlèvement d’un nourrisson par un délinquant demeuré et son épouse stérile; qu’aux humeurs noires de Barton Fink aient succédé celles, délicieuses, de The Hudsucker Proxy, déclinées sur un air de hula hoop; que The Big Lebowski ait offert un contre-point allumé à celui enneigé de Fargo, en plus de figurer au panthéon des films cultes, etc. L’épopée du « Dude » constitue l’un des sommets incontestés de leur filmographie, et partant un démenti à une règle, non formulée d’ailleurs, qui voudrait que les Coen abordent la stricte comédie en roue libre. On peut légitimement trouver plus de consistance au destin contrarié de leur Serious Man ou aux aspirations déçues de Llewyn Davis qu’aux gesticulations des apprentis-espions de Burn after Reading ou autres caprices de Baird Whitlock, la star de Hail, Caesar! Pour autant, l’esprit acide des brothers, couplé à un sens aiguisé de la mise en scène et à celui, non moins redoutable, du timing font de ces films autant de moments hautement réjouissants, des plaisirs pas même coupables pour le coup. Que la farce soit avec eux…

J.F. PL.

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