« C’EST UN MONDE PARFAIT », CHANTAIENT LES INNOCENTS DANS LES ANNÉES 90. IL L’EST EN TOUT CAS UN PEU PLUS DEPUIS QUE JP NATAF ET JC URBAIN ONT DÉCIDÉ DE RELANCER L’UN DES PLUS BEAUX FLEURONS DE LA POP FRANÇAISE.

Il faut remonter à 2000. Cette année-là, les Innocents annonçaient leur séparation. Dans la plus grande discrétion, les orfèvres d’une certaine pop Frenchy rendaient les armes. En s’y repenchant après coup, leur dernier album éponyme, sorti un an plus tôt, évoquait déjà la déroute toute proche. Il suffisait de lire entre les lignes. En toute fin de disque, JP Nataf chantait ainsi le poids de la routine, qui enfonce et tétanise. Quelque part, le sommet Himalaya annonçait déjà l’ouragan: « Et l’on se lance sans élan/Des fadaises/Des hymnes à la joie/Sans voir se dresser le troublant/Des falaises/Des Himalayas ». Quelques morceaux avant, Jean-Christophe Urbain, l’autre voix du binôme à la Lennon/McCartney, donnait sa version des faits, évoquant le temps qui érode, « comme ces photos qui passent de Sinclair et Danny Wilde ». Amicalement vôtre? Le fait est qu’un an plus tard, le second envoyait un recommandé au premier, ainsi qu’au restant du groupe, annonçant son départ. Après quatre disques, et une pelletée de tubes pop élégants (L’autre Finistère, Un monde parfait, Colore…), les « Innos » n’étaient plus. Les héros ne meurent toutefois jamais. Quinze ans plus tard, un nouvel album est là, intitulé Mandarine. La paire a été reconstituée, les dissensions d’antan enterrées. « Même si mon départ n’est pas né d’un truc conflictuel », précise aujourd’hui Jean-Cri. « J’avais juste envie d’autre chose, et notamment de me prouver que je pouvais être un musicien en dehors du groupe. »

En 2003, le binôme se retrouve une première fois, pour jeter un oeil à la compilation Meilleurs souvenirs. Une manière de solder les comptes, mais qui permet paradoxalement de renouer le fil. Mieux: les deux musiciens découvrent qu’ils n’ont pas forcément besoin de bosser des chansons pour passer du temps ensemble. « A la base, JC est arrivé dans un groupe qui existait, qui avait déjà eu un mini-hit (Jodie, ndlr). Du coup, on n’a jamais pris le temps de vraiment tisser des liens en dehors de la musique. Puis on nourrissait quand même une grande ambition pour nos chansons. Peut-être qu’il y avait comme une peur de mettre de l’affect entre nous, et que cela brise un équilibre. Ce truc un peu magique, instinctif, mais qui s’était construit sur une certaine distance de sécurité. »

Deuxième vie

Urbain et Nataf discutent donc à nouveau ensemble, vont boire des coups, refont le monde. Et tiens, puisqu’elles sont quand même posées là, reprennent les guitares. Sans prévenir, ils remontent même sur scène, se retrouvent à écrire un premier morceau Erretegia, en anglais, pour la BO du film Pop Redemption. La machine est alors lancée, accouchant rapidement d’une série de titres. Ils n’ont pas eu le temps de prévenir les autres membres du groupe. JC: « On a essayé de les intégrer au processus, mais il était trop tard, on était déjà trop avancé. » Pour autant, l’idée derrière les Innos n’a pas changé: celle d’un hybride pop-chanson française, mélodies « de juke-box des années 60-70, qui arrivent en trois, quatre minutes à effectuer quelques loopings harmoniques, et distiller deux, trois phrases qui emmènent un peu ailleurs », dixit Jipé.

Voilà pour le fond. Pour la forme, le duo repart de la simplicité des concerts, jouant sur les harmonies et les deux guitares. Alors que quinze ans plus tôt, l’un et l’autre se passaient le micro, sur Mandarine au contraire, les voix se superposent et s’entremêlent. Comme pour repartir à égalité? Jipé:« Il y a de ça, oui. Mais c’est aussi une manière d’enlever un peu de la théâtralité du français. Dans la chanson, l’interprétation occupe quand même une place centrale. Ici, la volonté était à l’inverse d’aller vers une sorte d’effacement, comme dans les musiques anglo-saxonnes. Ou dans pas mal de musiques du monde d’ailleurs, où l’on chante à plusieurs. Et puis, il y a aussi un côté un peu West Coast, californien: juste à deux, on a ce truc un peu plus laid back, plus fluide… »

Nataf et Urbain plongent donc tous les deux les mains dans le cambouis musical. Pour les paroles, par contre, Jipé est quasi seul aux manettes. JC: « Ecrire pour deux, je ne sais pas trop le faire. Et puis, Jipé a pris des tics, qui sont sa patte, mais contre lesquels c’est compliqué de se positionner. » Cette « patte », c’est une matière poétique ludique, acrobatique, qui joue au moins autant sur les textures et les sons, que sur le sens. « De toute façon, explique Jipé, chez nous, l’auteur n’est pas plus important que le musicien. Jusqu’à trois jours du mix, on peut encore changer des structures du morceau, et donc faire parfois sauter du texte. A ce niveau-là, peut-être que mon style d’écriture s’y prête mieux, parce qu’il est moins dans la narration, avec un début, un milieu, une fin… »

Pas question donc de raconter une histoire en trois minutes chrono. Même pas celle du groupe, qui a dû digérer les batailles perdues (Oublier Waterloo), et retrouver le « geste frère », comme ils le chantent sur les Philharmonies martiennes? Allez savoir… Au règne du storytelling, à la ligne droite du récit, les Innocents préfèrent la boucle, assure Jipé. Le titre même de l’album, Mandarine, ne cache aucune histoire secrète, pas un seul mystère. « A tout ce qui est dit dans l’album, il n’ajoute rien de plus qu’une forme, une saveur, une odeur, une couleur… C’est le mot anti-message par excellence. » Plus loin, Nataf conclut ainsi: « C’est quand même un art très particulier que celui de la narration, et il existe assez d’autres endroits pour ça. Avec une chanson, je veux pouvoir m’en aller, revenir. Dans un morceau de trois minutes trente, où il y a déjà un tas d’informations à assimiler, je n’ai pas besoin qu’on développe encore tout un récit. » Les Innos, ce groupe sans histoire…

LES INNOCENTS, MANDARINE, DISTR. SONY. EN CONCERT LE 01/11, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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