AVEC APRÈS MAI, OLIVIER ASSAYAS REVISITE LE DÉBUT DES ANNÉES 70 SUR LES PAS D’UN LYCÉEN CHERCHANT SA VOIE DANS L’ÉPOQUE. ET FAIT RIMER DESTIN INDIVIDUEL ET HISTOIRE COLLECTIVE, CHRONIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE ET FILM GÉNÉRATIONNEL.

Olivier Assayas, on l’avait quitté un an plus tôt, au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, dans la concentration d’une scène à la mise en place délicate -le concert, résolument seventies, du groupe psychédélique Fille qui mousse. Douze mois plus tard, on retrouve le réalisateur de Fin août, début septembre détendu dans la douceur de l’été vénitien. Présenté la veille à la Mostra, Après mai y a suscité l’enthousiasme -le film repartira du Lido avec un Prix du scénario, là où l’aurait bien vu couronné d’un Lion d’or.

En un prolongement à L’eau froide, qu’il réalisait au milieu des années 90, Assayas y revisite le début des années 70 sur les pas de Gilles, un lycéen cherchant sa voie dans l’effervescence de l’époque -il émane d’ailleurs du film une énergie qui est celle du temps autant que de ses presque 20 ans. Une entreprise partiellement autobiographique, comme le cinéaste en convient volontiers: « Tout est plus ou moins inspiré par mon expérience des années 70. Nous vivons tous deux existences: notre vie réelle, et notre vie imaginée, qui cohabitent dans nos souvenirs. Je recours donc à ces deux aspects. Mais une fois que je commence le film, des acteurs donnent vie à ces personnages, qui deviennent alors autre chose. S’il ne s’agissait que de mes souvenirs personnels, tout tiendrait dans une petite boîte. Les faire incarner par des acteurs leur confère une dimension plus universelle, et de plus générationnelle. »

A travers ses protagonistes, tiraillés entre des engagements radicaux et des aspirations plus personnelles, et notamment artistiques, c’est d’ailleurs vers le portrait d’une époque que tend Après mai. Soit un moment singulier de l’Histoire, encore porté par le flux de mai 68 et son vent d’idéalisme, mais déjà guetté par l’amertume des lendemains qui déchantent. « Il y a une certaine forme d’idéalisme qui prend forme en 1968, parce que c’est une vraie révolution. On est passé à deux doigts de renverser le gouvernement français, ce qui était quelque chose d’impensable. Il y avait donc l’espoir que cela puisse se produire à nouveau, observe Olivier Assayas, dont le film restitue l’humeur d’une époque charnière. S’agissait-il encore, dans un élan métaphorique, d’évoquer le monde contemporain, où l’on a vu fleurir des mouvements comme Occupy Wall Street? « Je n’ai pas tourné ce film pour envoyer un message ou donner une leçon à qui que ce soit. Il s’agit plutôt de rappeler ce qu’était la réalité d’une époque que les gens ont tendance à ridiculiser, à caricaturer ou à fantasmer. Le propre des films n’est pas de donner des leçons mais d’essayer de représenter le monde dans sa complexité. Il est toujours utile, quel que soit le moment, de rappeler au présent comment d’autres générations ont vu le monde. Celle des années 70 le voyait à la lumière d’une révolution imminente, et avait foi dans le futur et dans la possibilité de le transformer. Du fait de cette foi, on scrutait le passé, pour en comprendre les révolutions et les politiques, afin d’éviter de reproduire les mêmes erreurs. Ces deux facettes ont désormais disparu: les gens ignorent le passé -l’histoire sociale et les révolutions du XXe siècle-, et ils n’ont plus confiance dans le futur. »

Si Olivier Assayas caresse néanmoins l’espoir de sensibiliser le public d’aujourd’hui à la possibilité d’un monde différent, force est pourtant de constater que les attentes de la génération post-68 allaient, pour leur part, être déçues:  » L’idéalisme des années 70 s’est retrouvé prisonnier des idéologies qui ont viré aux dogmatismes, observe-t-il à cet égard . Avec la montée du terrorisme et la ruine de ce qui reliait les groupes gauchistes, on en est arrivé, au milieu des années 70, à un stade où tout n’était plus que désolation. C’était effrayant, on pouvait sentir que quelque chose était terminé -ce n’est pas pour rien que l’on a baptisé cette époque les années de plomb. Tout ce qui avait été gonflé d’espoir, d’idéalisme et de rêves de changer le monde était devenu comme mort, froid, dogmatique, totalement coupé de la réalité. » Pour autant, le réalisateur se refuse de passer l’héritage de mai 68 aux pertes et profits: « On peut débattre de savoir si la révolution a été un succès ou un échec. Mais il s’est produit quelque chose, en 1968, qui a changé le monde, et a libéré ce qui était corseté et rigide dans les sociétés occidentales, et cela a constitué un moment déterminant. »

Le pouvoir libérateur du cinéma

S’agissant de son destin personnel, avec lequel celui de Gilles, la figure centrale du film, est étroitement imbriqué, le réalisateur en pose les enjeux avec humour – « le thème du film, c’est d’avoir survécu aux années 70 », sourit-il -avant de s’inscrire dans une perspective plus large: « Trouver sa voie est toujours difficile. Et peut-être était-ce plus difficile encore à une époque où il fallait se déterminer en termes politiques, et donc collectifs. Quand vous voulez devenir un artiste, vous souhaitez établir une forme de dialogue avec le monde et avec la société, mais vous êtes pour l’essentiel livré à vous-même. Cette position n’était pas reconnue: elle était considérée comme individualiste ou petite-bourgeoise. Il ne faut pas perdre de vue qu’à l’époque, Jean Eustache, lorsqu’il a tournéLa maman et la putain , l’un des plus grands films français de tous les temps et l’un des plus radicaux de son histoire, a été taxé d’individualisme petit-bourgeois même dans un magazine comme Les Cahiers du cinéma … Devenir artiste et cinéaste en particulier n’était pas quelque chose de facilement accepté, même par des jeunes de votre génération. Les films ont été pour moi une forme de libération », cristallisant son engagement artistique qui avait débuté par la peinture.

Quant à sa conscience politique, c’est du côté de l’internationale situationniste et de Guy Debord qu’il s’en ira la forger: « La découverte des écrits de Debord a été vitale pour moi. Il donnait la théorie radicale de mon époque, et sa lecture a constitué pour moi l’antidote à une bonne partie des idéologies dogmatiques d’alors. Précise et moderne, sa vision de la société contemporaine est toujours valable aujourd’hui. » Comme en atteste, d’ailleurs, la citation que lui emprunte le film: « L’effondrement d’un monde a commencé sous nos yeux. L’exercice de la vie est devenu un programme révolutionnaire… »

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