Roy Andersson avait deux longs métrages –A Swedish Love Story, tourné en 1969, et Giliap, réalisé six ans plus tard- et un paquet de pubs à son actif lorsqu’il décida, en 1981, de fonder le Studio 24, histoire de pouvoir travailler en toute liberté. La structure de production est installée dans une maison élégante du centre de Stockholm, que rien ne distinguerait de ses voisines s’il n’y avait, aux fenêtres, les affiches des films du maître des lieux, assorties d’un curieux petit montage le représentant sous les traits… d’un pigeon assis sur une branche –« un cadeau », rigole-t-il de bon coeur. Tout, ici, est dévolu au cinéma d’Andersson qui raconte, tandis que l’on fait le tour du propriétaire, comment la société s’est littéralement montée étage par étage à mesure qu’elle étendait ses activités: spots publicitaires, courts puis longs métrages.

C’est donc ici que sa trilogie sur la condition humaine a vu le jour, et le cinéaste n’est pas peu fier de faire visiter les deux plateaux voisins ayant accueilli successivement les tournages de Songs from the Second Floor, You, the Living et A Pigeon Sat on a Branch Reflecting on Existence, films entièrement créés en studio ou peu s’en faut. Trente-sept des 39 décors du Pigeon perché ont été emménagés sur place, seules la scène du café où s’invite Charles XII et celle du colonialisme ayant été tournées en extérieur, la première dans une fabrique de porcelaine désaffectée non loin de Stockholm; la seconde, en Norvège, pour des questions de co-financement. Andersson recourt à une méthode aussi artisanale que personnelle, consacrant trois à quatre semaines à une scène, réparties entre mise en place du décor et des acteurs, répétitions et, enfin, tournage en plans-séquences, nécessitant en moyenne de 30 à 40 prises. Construits spécialement pour chaque tableau, les décors sont détruits et remplacés au fur et à mesure, et l’on comprend, en découvrant la relative exiguïté des lieux, que le réalisateur suédois ait développé un goût immodéré pour le trompe-l’oeil. La visite offre par ailleurs un condensé de son univers, où la scie du magicien de Songs from the Second Floor voisine avec une maquette ayant servi à préparer la scène du colonialisme de A Pigeon, ou encore quelque trophée glané pour une publicité.

Un escalier en colimaçon conduit à l’étage, ses salles de réunion et autres bureaux. Le capharnaüm de celui où reçoit Andersson contraste spectaculairement avec la précision présidant à ses films. Une cuisine américaine, dont le comptoir disparaît sous les journaux en pagaille – fouillis d’où émerge un exemplaire du Voyage au bout de la nuit de Céline illustré par Tardi, Andersson confessant une profonde admiration pour l’auteur-dessinateur- fait office de poumon des lieux, mais aussi de cabinet des curiosités. Au mur, Lénine cohabite ainsi avec Mao en mode Warhol, et une représentation empruntée à l’Eglise orthodoxe russe. Et le cinéphile ne peut passer à côté d’une affiche, badigeonnée de colle, du Voleur de bicyclette, « le meilleur film de l’Histoire », tranche le cinéaste. Enfin, l’étage supérieur accueille l’espace post-production, avec ses tables de montage -Andersson vient de délaisser la pellicule pour le digital, dont il se dit ravi, mais a conservé quelques modèles 16 et 35 mm-, sa salle de mixage, et même, parmi d’autres locaux, une antique chambre forte de bijouterie pour stocker les négatifs. Soit les moyens d’une indépendance dont le réalisateur suédois a su faire très bon usage, et qui devrait le voir s’atteler prochainement à une version des Mille et une nuits que l’on imagine on ne peut plus personnelle…

J.F. PL.

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