Le Rapport chinois

C’est l’histoire d’un cabinet, Michard & Associés, spécialisé en expertises nébuleuses et bullshit stratégique, à destination d’entreprises millionnaires aux activités insaisissables pour le commun des mortels -leurs dirigeants inclus. Un cabinet de conseils, en somme, cultivant la confidentialité interne à un tel niveau qu’aucun de ses salariés n’a réellement la moindre idée de ce à quoi il est -très grassement- payé. Sauf à pondre, paraît-il, de chimériques rapports dont personne n’a jamais aperçu le moindre contour, tout en pratiquant quotidiennement l’auto-célébration tonitruante pour y conserver sa place. Tous, ici, passent leur temps en de luxueux bureaux à s’estimer mériter leurs ponts d’or. Dans ce cadre abscons, où la vacuité le dispute à la tartufferie, débarque Tugdual Laugier, diplômé moyen dont l’inepte processus d’embauche occupe les premières pages du livre, d’une drôlerie rare. Le lecteur, hilare, s’attache immédiatement à ce candide plutôt tarte, avant de s’en mordre les doigts: Tugdual n’est pas le brave couillon arrivé là par erreur; il va plutôt se conformer servile à l’inanité ambiante, riche malgré son jeune âge du système de valeurs poussiéreux d’un boulet quinqua des années 60. Mari tyran, cadre lourdingue, pantin veule, il signera pourtant, bien involontairement, l’arrêt de mort de cette bulle de vide aux relents de délinquance en col blanc, le jour même où il y produira enfin quelque chose: le rapport chinois. Ainsi, c’est au règne tenace des bullshit jobs que s’attaque avec délice l’un des romans les plus réjouissants, les moins poseurs de cette rentrée.

De Pierre Darkanian, éditions Anne Carrière, 298 pages.

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