Le Projet Schelling

On l’oublie parfois: en même temps qu’un des philosophes les plus célèbres de notre époque, Peter Sloterdijk est aussi un écrivain -quelqu’un qui oppose à l’académisme germanique de la pensée une sorte d’art français de l’écriture. La distinction entre les deux est sans doute artificielle, mais elle possède un effet comique: celui qu’il y a à regarder la tête respective de ceux qu’on confronte ainsi -un jeu auquel Sloterdijk est passé maître, et dont on peut soupçonner qu’il constitue son moteur le plus irrésistible. Le Projet Schelling, sa deuxième fiction après L’Arbre magique (Flammarion, 1988), le démontre jusqu’à la caricature: il raconte les échanges de courriels entre cinq personnalités de l’université qui décident de mettre en place un programme de recherche relatif à l’histoire mondiale de la sexualité. Bien entendu, c’est surtout l’occasion de faire des phrases, et de laisser les différents protagonistes du récit tantôt dénoncer, tantôt incarner les 1001 absurdités de ce que signifie penser au XXIe siècle -surtout lorsque c’est dans une faculté de Humanities. Tous les tics de langage de la pensée critique, du féminisme de bureau ou de l’élucubration théorique y sont mis en scène, sans que l’on sache trop si c’est pour s’en moquer ou au contraire les prendre au sérieux -car les protagonistes écrivent furieusement comme Sloterdijk lui-même. Peu importe: la jubilation ne requiert nul savoir.

de Peter Sloterdijk, ÉDITIONS Piranha, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, 240 pages.

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