Le progrès

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Au pas de charge et sabre au clair, Christophe Donner revisite le feuilleton génial des inventions.

« Il n’est pas de science, pas de progrès sans cette obsession d’être le premier. » 1857, à Paris, Au clair de la lune retentit devant une assemblée de savants: Édouard Scott De Martinville est en train de faire la démonstration de son « phonautographe », invention capable de graver sur rouleau le sillon de la voix humaine. Quant aux bouillonnants frères Niépce, l’un (Claude) s’attelle au premier moteur à explosion de l’Histoire, quand l’autre (Nicéphore) vient d’inventer la photographie… L’heure est venue d’assister à la naissance d’un art. Sous les traits de Daguerre, dont les dioramas font fureur dans tout Paris, le commerce accourt. Le roublard « retourne complètement Nicéphore en moins d’une heure, faisant de ce rival rétif un associé docile, le tremplin idéal de ses ambitions ». Tirant le portrait d’un XIXe siècle qui s’habille de neuf (l’herbe repousse sur l’Europe en paix et on redécouvre le chocolat), Christophe Donner parcourt le grimoire des inventions et rend justice aux pionniers dont l’intelligence chatouille l’ordinaire, ces lions aux festins des érudits mais buvant du petit lait devant les promesses ourdies par de plus zélés ouistitis. Son roman est un feuilleton haut en couleurs et malicieux, où fait rage la guerre des brevets, où la reconnaissance se dérobe, où le commerce se fait fort d’éconduire la naïveté des purs esprits.

Le progrès

C’est l’histoire d’un daguerréotype…

Les décennies défilent et avec elles leur cortège d’inventions: Samuel Morse est à Paris pour présenter son télégraphe, Edison joue les Beethoven de la science, le cinéma tisse sa toile. Passant de l’une aux autres dans un savant mouvement de balancier, le livre retrace une course contre la montre (elle est à gousset) où les révolutions battent la mesure. L’honnête homme y bat en retraite face au poids de la célébrité et au pouvoir de l’argent, défaite prévisible. C’est un domaine où la plume acrimonieuse de Donner excelle. On se souvient d’ À quoi jouent les hommes, sur la naissance du PMU, mais aussi du truculent Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, où les beaux-frères ennemis Claude Berri, Maurice Pialat et Jean-Pierre Rassam se tiraient dans les pattes dans un combat de poules aux oeufs d’or: au spectacle, le lecteur s’y régalait des disputes flamboyantes dans des vapeurs de patchouli et de Gauloises. Dans ce nouveau roman aux feuilles enduites de noir de fumée, il use des pleins et déliés exaltants d’une langue délicieuse, longue en bouche, pour planter les banderilles sur ce marché de dupes où mécènes, jaloux et opportunistes s’ingénient à broyer l’insupportable spectacle du triomphe de leur rival.  » Mon jeune ami, si vous croyez avoir inventé quelque chose, c’est que vous vous êtes trompé quelque part ou que vous n’y connaissez rien. On n’invente jamais rien: on développe, on perfectionne, on déduit, on pille, on s’inspire, et avec de la chance, on aboutit. Mais l’invention, ça n’existe pas. » Orchestrant le ballet d’entourloupes tapi derrière les éclairs de génie, endiablé de l’amour des sciences, le récit captive, mieux: il épastrouille!

Au clair de la lune

De Christophe Donner, éditions Grasset, 272 pages.

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