IL N’A PAS DE LONGUE TIGNASSE MAIS A LONGTEMPS INCARNÉ À LUI SEUL LE FOLK MADE IN SEATTLE. RENCONTRE AVEC LE SOUS-ESTIMÉ ET PRODUCTIF DAMIEN JURADO TANDIS QUE SORT MARAQOPA (LIRE LA CRITIQUE PAGE 35), SON DIXIÈME ET DES POUSSIÈRES ALBUM STUDIO.

Baptisé à juste titre parrain de l’explosion folk à Seattle, Damien Jurado n’est pas un de ces singers song-writers qui pleurnichent leur désespoir et leur ennui à d’adolescentes midinettes. C’est plutôt le trésor caché, le mec qui enchaîne les disques dans l’ombre depuis 15 ans. Celui que tout le monde devrait écouter et que personne malheureusement n’entend.

Personne à part une poignée de fans aguerris et avertis au rang desquels figurent les Fleet Foxes.  » Ça a été excitant de les voir arriver, se souvient Jurado. Je me sentais un petit peu seul à Seattle où la scène musicale était surtout tournée vers l’indie rock quand ont débarqué ces jeunes qui achetaient mes disques et avaient fini par fonder leur propre groupe. Je peux clairement m’entendre dans certains morceaux du premier Fleet Foxes. Et en même temps, tu peux percevoir leur influence sur certaines de mes dernières chansons. Ce qu’ils prennent chez moi, ils me le rendent. C’est un peu comme un miroir… » Le miroir de Face/Off alors. Quand Travolta se voit avec la gueule de Nicolas Cage et Nicolas Cage se voit avec la tronche de Travolta… Encore récemment, sur Internet, J. Tillman louait le 1er album de Jurado.  » J’ai rencontré des gens qui m’ont dit avoir commencé à écrire des chansons après avoir entendu ma musique. Je pense leur avoir donné un sentiment et une impression de facilité. J’espère aussi les avoir amenés à être éclectiques. »

Damien jette un regard dur, sans concession sur sa propre carrière.  » Après le grunge, je dirais entre 1994 et 2000, on a connu 6 ans de confusion. Les gens ne savaient pas ce qu’ils voulaient. Moi, j’aimais le grunge, le punk… Mais c’était fini. Je vieillissais. Mes goûts changeaient. J’ai dès lors enregistré des disques entiers pour pouvoir être rangé dans la catégorie singer songwriter. Je voulais être accepté par mes pairs, toucher un certain public. Pendant plus de 10 ans, j’ai enregistré des disques qui me laissaient indifférent. Ce n’était pas moi. Je voulais plaire à l’industrie, à la critique, au public… J’étais un stéréotype. »

A l’époque, Jurado, qui écoute surtout du Captain Beefheart et des trucs psychédéliques, pense même faire chanter ses morceaux par d’autres.  » Il y a un problème avec le singer songwriter. Tu imagines si Jack Nicholson écrivait tous ses scénarios, réalisait tous ses films dont il était l’acteur principal et dont il composait lui-même la musique? »

Kerouac, Dylan, Callahan…

Fin connaisseur, Jurado amire la plume de Will Sheff (Okkervil River), de Bill Callahan (Smog), de Dan Bejar (Destroyer)…  » Je ne suis pas aussi bon que tous ces gens, glisse-t-il. Ce sont de vrais poètes. Moi, je ne me vois ni comme un poète ni comme un romancier. Je me considère comme un peintre. Un photographe. Je fais des photos avec des mots. » Il voue aussi un immense respect à Leonard Cohen, Bob Dylan, Allen Ginsberg…  » Mais je suis moins influencé par leur musique et leurs écrits que par leur vie, leurs choix, leur philosophie. Je m’intéresse aux gens et à ce que je peux apprendre d’eux avant de me passionner pour leur art. C’est un peu comme faire connaissance avec une fille avant de conclure. Dès que tu as vu des documentaires ou lu des bouquins sur Bob Dylan, ses disques et ses chansons prennent toute leur signification.  »

Jurado lit peu de livres mais est un grand amateur de biographies. Avant d’acheter Sur la route, d’avoir lu la moindre de ses £uvres, il avait déjà bouffé 4 bouquins sur Kerouac.  » La première fois que j’ai vu une photo de lui, j’étais en secondaire et je me suis dit: ce mec est super cool. Comme un James Dean, il incarnait le rêve américain. Le fils d’immigrants qui voyage à travers le pays… Le football, la navy… Je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un de plus américain que Jack Kerouac. » Il y a vraiment quelque chose de spécial et d’attachant chez Damien Jurado, né à Los Angeles il y a 40 ans dans une famille de 8 enfants. Quelque chose surtout de profondément humain.  » Je n’avais pas d’amis étant gosse. Je n’en voyais pas l’intérêt. Mes parents bossaient dans l’Air Force. On bougeait sans arrêt. Je faisais donc de mon mieux pour ne pas avoir de potes. Pour ne pas m’attacher. C’est encore comme ça quand je pars en tournée. Discuter avec des fans après mes concerts m’est douloureux. Je ne verrai peut-être plus jamais ces gens. Ça me rappelle mon enfance. »

Méfaits du progrès

Dixième et quelques poussières album de Damien Jurado, Maraqopa a été enregistré à Cottage Grove, dans l’Oregon. Chez Richard Swift.  » Je n’aime pas travailler dans les studios traditionnels. La dernière fois que ça m’est arrivé, ça devait être à l’époque de mon 2e album. C’est stérile. Je ne m’y sens pas bien. Ces endroits sont remplis d’équipement dont tu n’as pas besoin… Avec Richard, on a mis en boîte mes 2 derniers disques avec un seul micro et un enregistreur à bandes. » Et Damien de mettre le doigt sur les méfaits du progrès.  » Avec la technologie, et tout particulièrement l’avènement du digital, tu n’as même plus besoin de jouer une seule fois correctement ta chanson. Tu enregistres 5 versions désastreuses de ton morceau, tu pars de la moins pourrie et tu fais du copier coller. Je trouve ça stupide, factice. Et tu comprends vite quand tu vois les mecs sur scène… » l

JURADO SERA AU KREUN (COURTRAI) LE 10 MARS ET AU TRIX (ANVERS) LE 28.

TEXTE JULIEN BROQUET

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