ARPENTANT LES VASTES ÉTENDUES LUMINEUSES DE SA RÉALITÉ VIRTUELLE, TRON: LEGACY REDÉFINIT, PRESQUE 30 ANS APRÈS L’ORIGINAL, LES CODES D’UN DRÔLE DE WESTERN MODERNE. LA PARTIE PEUT COMMENCER…

1982. Steven Lisberger, un jeune réalisateur passionné d’informatique, concrétise, chez Disney, un projet pour le moins atypique: l’histoire d’un programmeur de génie se retrouvant bientôt « aspiré » dans le monde numérique qu’il a lui-même imaginé.

Sorti, comme The Thing de John Carpenter, au début de l’été 1982, Tron marque pour ainsi dire l’acte de naissance d’une esthétique « cyber » qui ne cessera d’essaimer dans les décennies suivantes, sa réalité parallèle n’en finissant pas de faire des émules, du eXistenZ de Cronenberg au Inception de Christopher Nolan en passant, notamment, par le Matrix des frères Wachowski. Légèrement « vieilli » à la revision aujourd’hui (quoique…), le film revêtait dans les yeux constellés des gamins d’alors un lustre de magie difficilement égalable. Et pour cause, tant dans son intrigue, aussi singulière qu’alambiquée, que dans l’univers, digital, qu’il déploie, Tron est véritablement révolutionnaire. En avance sur son temps, le film de Steven Lisberger, dont toutes les séquences sont assistées par ordinateur -une première, là encore!-, n’en fait pas moins un flop retentissant dans les salles -face, il est vrai, à un concurrent de taille: le E.T. de Spielberg, rien de moins. Et devra attendre encore quelques années avant d’accéder au statut tant convoité de film culte.

De l’autre côté du miroir

2011. Presque 30 ans plus tard, Disney sort l’artillerie lourde. Avec son budget avoisinant les 170 millions de dollars, Tron: Legacy ( lire notre critique page 31) est en effet LE blockbuster de ce début d’année.

Pavé de citations et autres clins d’£il à l’original, le film est au fond moins une suite qu’un « reboot »: il s’agit ici de raconter peu ou prou la même histoire -dans ses enjeux, sa structure, ses passages obligés (combats, courses, poursuites, confrontations…)- mais à l’aide des avancées technologiques d’aujourd’hui. En ce sens, le titre du jeu vidéo de tir subjectif sorti en 2003 sous la houlette de Lisberger lui-même, Tron 2.0, apparaît pour le coup idoine. Plus que d’héritage -la relation père-fils au c£ur de l’intrigue-, c’est bien de relecture ad hoc dont il est surtout question ici.

Sean Bailey, producteur de Tron: Legacy:  » Avant toute chose, nous nous sommes dit qu’avec la technologie à notre disposition aujourd’hui, nous avions vraiment la possibilité d’accomplir en 2011 ce que Steven Lisberger était parvenu à réaliser en 1982, à savoir: créer un univers visuel comme personne n’en avait jamais vu auparavant. »

Ces nouvelles technologies, images de synthèse en tête, servant prioritairement à donner à l’univers virtuel du film, profondément singulier, un effet de réalité bluffant. Joseph Kosinski, réalisateur de Tron: Legacy:  » Mon but était vraiment de rendre les choses aussi réelles que possible. Je voulais donner l’impression qu’on avait embarqué des caméras dans le monde de Tron pour y tourner. En ce sens, je tenais à construire le maximum de décors. Il fallait que les matériaux semblent réels: le verre, le béton, l’acier… Pour donner à cet univers un caractère quasi viscéral. Steven Lisberger et son équipe avaient utilisé des outils réels pour créer un monde qui semblait numérique; notre travail a été d’utiliser des outils numériques pour créer un monde qui semble réel. »

Ainsi, également, du recours -non systématique, encore bien- à une 3D essentiellement immersive.  » Je ne voulais de la 3D que dans le monde numérique, le Grid, explique Kosinski. Nous avons développé une nouvelle caméra, une nouvelle version du système utilisé par James Cameron. Ma philosophie était d’envisager l’écran comme une fenêtre ouvrant sur ce monde. C’est pourquoi la 3D est avant tout immersive. Pour que les spectateurs, comme les personnages, soient littéralement aspirés dans cette dimension virtuelle. »

Et de plonger de l’autre côté du miroir, en somme. Dans un univers à la cohérence visuelle bétonnée, prolongement contemporain de l’esthétique du film original: un minimalisme géométrique balayé de grandes lignes de lumière.

 » J’aime la science-fiction parce qu’elle est par définition un genre sans limites, continue Kosinski, architecte de formation. Ce qui en soi est quelque chose de terriblement excitant. Elle autorise beaucoup d’inventions, dans le design en particulier…  » Et le réalisateur de s’entourer d’une pléthore de spécialistes divers. Un ancien concepteur automobile étant par exemple chargé d’élaborer des véhicules révolutionnaires tandis qu’une équipe de créateurs planchait sur des combinaisons d’un genre nouveau sur lesquels courent, à l’image des décors, une armée de fins tubes lumineux.

Hors du temps

Hyper moderne dans la forme, le film n’en recycle pas moins sur le fond quelques inaltérables motifs thématiques. Et ne fait, en définitive, rien d’autre que travailler une matière aussi balisée que familière. Avec ses nouveaux espaces à conquérir, ses chevauchées fantastiques à bord de rutilantes cylindrées et ses duels sans merci, Tron: Legacy redéfinit en effet, avec plus ou moins de bonheur, les codes d’un singulier western moderne.

Sean Bailey:  » En 1982, Steven Lisberger se devait d’expliciter clairement la plupart des idées présentes dans son film, sans quoi le public de l’époque aurait été perdu. Nous avions la chance, pour notre part, de pouvoir nous permettre de faire l’impasse sur ces explications. Nous avions juste envie de dire: « En avant, c’est une réalité alternative et si vous en voulez les règles, sachez qu’elles ne sont pas bien éloignées de celles d’un western.  » En effet, pas question de passer un coup de téléphone, ou ce genre de choses, dans ce monde. Si vous avez un message à délivrer, vous grimpez sur votre véhicule et vous y allez. On trouvait ça intéressant, à une époque où les gens passent leur temps libre sur Facebook, à développer des échanges virtuels, d’offrir une réalité alternative qui soit différente de celle que l’on peut envisager aujourd’hui. »

Ou comment concilier, de la plus confondante façon, nouvelles technologies et intemporalité.

TEXTE NICOLAS CLÉMENT, À PARIS

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