L’OEUVRE TRÈS PERSONNELLE DE PEETERS SE NOURRIT D’INNOMBRABLES CLINS D’oeIL, HOMMAGES OU INFLUENCES. POUR AÂMA, DE MOEBIUS À SOLARIS, LA LISTE EST LONGUE MAIS LUDIQUE.

Frederik Peeters revendique une écriture jazz dans la réalisation des quatre tomes de Aâma, mélange donc de rigueur et d’ouverture à cette « multitude d’influx » qui caractérise, aussi, son oeuvre. Graphiquement, difficile de le nier (il ne le fait d’ailleurs pas): l’ombre de Moebius plane sur ce Tu seras merveilleuse, ma fille. « Je le revendique même totalement: la découverte de Moebius à l’adolescence a changé ma vie, moi qui jusque-là étais totalement habité par Hergé. Et ce tome est sans doute mon récit le plus « moebiusien ». Ce qui me fascinait chez lui, c’est le surréalisme, la poésie, une certaine écriture automatique. Des termes que l’on peut retrouver chez moi quand je fais de la SF. » Les influences sont également prégnantes dans le scénario de Aâma et cet univers de science-fiction à la fois organique et high tech: cet amateur de SF surtout littéraire se réfère cette fois directement à Stanislas Lem et son fameux Solaris, « un des livres qui m’ont le plus marqué, tous genres confondus: un homme qui part en mission surveiller une étrange planète, avec d’énormes enjeux, mais qui provoque chez lui des hallucinations extrêmement intimes… Ce mélange de macro et de microcosmique imprègne aussi Aâma. »Un classique de Lem, auteur polonais, qui se situait lui-même dans la lignée de cette SF volontiers intello, scientifique et plus européenne, telle qu’on la retrouve dans la SF de Peeters: le goût de la robotique et la « psycho-histoire » de Isaac Asimov, la survie spirituelle de l’humanité chère à Ray Bradbury, la quête d’une logique non aristotélicienne de E. Van Vogt, le mélange de science et de spiritualité de Arthur C. Clarke… Autant d’influences indirectes sur la saga de Aâma, quand d’autres sont immédiates.

Renaissance et comics

Quid de cette séquence complexe, mais importante dans le récit, où Verloc Nim bascule, littéralement, dans une autre réalité? « Je ne savais pas comment aborder ce moment, puis je me suis souvenu de Nou3, un comics que m’avait offert un libraire. Rien à voir et très américain: de la SF très premier degré avec un chien, un chat et un lapin transformés en machines de guerre! Mais dedans, les auteurs installent un rapport au temps différent, basé sur des calques qui pivotaient, créant une mise en abyme avec le lecteur. Puissant! » Le titre du 3e album, Le Désert des miroirs? « C’est le titre d’un livre de Max Frisch, un écrivain suisse, un truc totalement illisible, abominable, que j’avais retrouvé dans les affaires de mon grand-père. Le titre, lui, était génial. J’avais le nom, mais je ne savais pas quoi mettre dedans, j’ai dû organiser l’histoire en fonction de ça. Une sorte de contrainte oubapienne, mais c’est plus fréquent qu’on ne le croit. » Quant aux innombrables plantes, créatures et organismes inventés en même temps que se développe Aâma, ils trouvent parfois leur source dans… les peintures de la Renaissance italienne. « Cette créature avec une sorte d’oeil en bout de tige, elle m’a été inspirée par un critique d’art, Daniel Arasse, qui avait remarqué sur des représentations très précises du martyr Saint Sébastien un nombril très mal fichu. Il y voyait au contraire l’oeil de l’artiste! J’ai aimé cette idée. Ici, je dis aux lecteurs, attention: je vous regarde! »

O.V.V.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content