PLUS PROLIFIQUE QUE JAMAIS, TERRENCE MALICK SEMBLE AVOIR PERDU L’INSPIRATION À MESURE QU’IL SE MULTIPLIAIT ET QUE SES ASPIRATIONS COSMIQUES SE MATÉRIALISAIENT.

Longtemps, Terrence Malick a incarné tout à la fois une énigme et un idéal cinématographique. La première demeure, le réalisateur texan n’étant jamais concurrencé que par David Bowie s’agissant du secret entourant chacune de ses productions. Du reste, l’artiste a, de toute évidence, fait sien le précepte voulant que pour vivre heureux, l’on vive caché: on ne lui connaît, comme photo officielle, qu’un cliché granuleux à la définition approximative remontant à l’époque de The Thin Red Line (soit, l’air de rien, au mitan des années 90), et l’homme a su à ce point protéger son image qu’il put, par exemple, se permettre de circuler incognito à Cannes en 2011 -pas une mince affaire, comme en conviendra quiconque a jamais tâté de la Croisette au mois de mai-, année où The Tree of Life devait lui valoir la Palme d’or. Le paradoxe voudra que ce soit également avec cette consécration que l’idéal évoqué en amont ait commencé à s’écorner.

L’absolu cinématographique

A l’instar d’un Stanley Kubrick, Terrence Malick constitue une exception dans le paysage cinématographique contemporain. Un cinéaste rare -six films, à peine, en 40 ans, son parcours ayant toutefois connu une spectaculaire accélération depuis quelques années, on y reviendra-, et une oeuvre d’une densité sans équivalent, esquissée dès son premier opus, Badlands, en 1973. Le réalisateur texan s’y empare d’une figure chère au cinéma américain, la cavale d’amants criminels, s’intéressant plus, toutefois, à la perte de l’innocence qu’à l’équipée meurtrière. Et trouvant dans la nature le contrepoint aux agissements des protagonistes, tout en célébrant un Eden disparu, sacrifié à la folie des hommes.

Cinq ans plus tard, Days of Heaven évolue dans les mêmes eaux, Malick y déployant une vision élégiaque proprement vertigineuse, et renouant avec l’inspiration du Murnau de City Girl pour composer un film d’une intensité lyrique insurpassable. Là encore, nature magnifiée et desseins mesquins des hommes s’opposent en une évocation d’un paradis perdu, digressions poétiques et distanciation de la voix off à l’appui. Ce film-là tend à la perfection, il faudra ensuite attendre 20 ans pour que son auteur ne lui donne une suite. Ce sera The Thin Red Line, méditation d’essence spirituelle plus que film de guerre, questionnant, en une vision d’une pure et profonde beauté, un destin de l’humanité aux allures de naufrage collectif. Soit un nouvel accomplissement esthétique et philosophique -à croire que Terrence Malick aurait su se détacher des contingences de ce monde pour toucher à l’absolu cinématographique.

La frénésie de l’époque

Si The New World apparaît plus anecdotique, The Tree of Life est, pour sa part, annoncé comme son grand oeuvre, inscrivant le destin d’une famille américaine des années 50 dans un espace-temps courant du Big Bang originel aux mégalopoles du présent, en une volonté cosmique clairement affirmée. L’expression littérale de cette dernière ne manque pas de venir singulièrement déforcer le propos: si le regard de Malick sur le monde a toujours été empreint de spiritualité, en un écho sensible à ce paradis perdu qui est le coeur de son oeuvre, la voix off relayant par ailleurs ses questionnements philosophiques, le grand déballage pompier présidant à The Tree of Life tend à singulièrement en diluer la substance. Cela, jusque dans un final dont la grandiloquence confine au grotesque: c’est de mysticisme obtus qu’il est ici question, comme si la vision du cinéaste se résumait à un fatras de clichés New Age, l’hypothétique réconciliation de la nature et de la grâce au nom de l’Amour se voyant célébrée à grand renfort de chants d’allégresse.

De quoi engendrer la perplexité, sinon le malaise, sentiment aggravé aujourd’hui par To the Wonder. Soit un film où le style du réalisateur semble ressortir du procédé mécanique, tandis que le propos s’articule entre mysticisme chrétien décliné au premier degré et exploration d’une confondante naïveté du lien amoureux. On est loin, en tout état de cause, du mystère et de la beauté qui avaient fait la grandeur de son cinéma -sacrifiés sans doute sur l’autel du temps, dès lors que Malick a cédé à la frénésie de l’époque, son prochain film, Knight of Cups, étant attendu cette année encore, alors que Voyage of Time, le suivant, est annoncé pour 2014. Quatre films à raison d’un par an, plutôt que quatre en autant de décennies: pas sûr que l’on ait gagné au change…

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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