DE MICHAEL CHRISTIE, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (CANADA) PAR NATHALIE BRU, 318 PAGES.

Une nouvelle n’est pas la version light d’un roman. Ou le symptôme d’un écrivain paresseux. Ce serait aussi absurde que de prétendre que le 100 mètres en athlétisme est juste un raccourci du 10 000 mètres. Le format court est une discipline à part, avec ses codes, ses saveurs, ses pièges, ses accélérations. Les champions historiques sont américains (Poe, Melville…), russes (Gogol, Tchekhov…) et français (Maupassant, Zola…).

De nos jours, le genre fait moins recette. La mode est plutôt aux romans fleuves, embrassant la complexité du monde dans leurs murs épais. Ce qui ne veut pas dire que le bref ait rendu les armes. Le monde anglo-saxon entretient la tradition et abrite de fines gâchettes dont la collection Terres d’Amérique des éditions Albin Michel importe régulièrement les meilleurs morceaux. Après Craig Davidson ( De rouille et d’os) ou Thom Jones ( Sonny Liston était mon ami), elle nous sert aujourd’hui un jeune auteur canadien de 28 ans, Michael Christie. Un futur grand.

En neuf escales aux confins de la détresse et de la folie ordinaire, ce surdoué prend le train de la décadence en marche, sillonnant les rues de Vancouver sur les traces d’un accro au crack, d’un ado voleur de voitures ou d’un père tentant de renouer le contact avec son fils SDF. Comme ses pairs, Christie a un faible pour les éclopés de la vie. Et en digne héritier de cette littérature physique que pratiquent les Américains, il nous fait ressentir les moindres vibrations de ces c£urs froissés, transformant la lecture en expérience quasi sensorielle. C’est particulièrement palpable dans Le roi Saül où il nous balade dans la tête d’un psychotique au gré de ses délires paranoïaques et de ses souvenirs réinventés. Plus efficace pour comprendre ce qu’est la maladie mentale qu’un long discours de Lacan…

Ses personnages pourraient être pathétiques, ils sont juste terriblement humains. Avec humour parfois, comme cette femme qui appelle sans cesse les secours dans l’espoir de revoir l’infirmier qui a pansé un soir son coup de blues, le Canadien sonde les abîmes. Certains sont déjà au fond du trou, d’autres sur le point de chavirer. A l’image de ce banquier qui, pour sauver son âme et fuir un mariage en lambeau, décide de prendre en mains la « carrière » d’un mendiant. Chacun cherche son salut comme il peut dans ces ruines. Des ruines qui poussent sur tous les terrains ainsi que le suggèrent les indices narratifs discrètement disséminés et qui relient chaque nouvelle à la précédente comme les pièces d’un vaste puzzle. Dérangeant et brillant. Michael Christie, donnez-nous vite de vos… nouvelles!

L.R.

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