ANGLAIS, BLANC ET PHOTOGRAPHE, ADRIAN BOOT A VÉCU SUR LE BOUT DE CARAÏBE QUI ENFANTERA BOB MARLEY ET LE REGGAE. D’OÙ UN BABYLON ON A THIN WIRE SAISISSANT LE BEAT ET L’INTIMITÉ JAMAÏCAINS AU COUR D’EXPLOSIVES SEVENTIES.

« J’ai quitté l’université en Angleterre et en 1970, me suis retrouvé en Jamaïque, prof de physique au lycée Tichtfield à Port Antonio (ville touristique sur la côte nord de l’île, ndlr). J’y connaissais tout le monde et tout le monde m’appelait « prof ». J’avais l’habitude de donner un tirage à mes sujets et de développer mes photos dans le labo de l’école. A Port Antonio, je me sentais en sécurité et j’avais l’impression que ce serait partout pareil. Je pense juste avoir été assez chanceux« , nous dit Adrian à la fin juillet depuis sa maison du Surrey. On peut rajouter talentueux et obstiné: Babylon On A Thin Wire (1) n’est pas le premier livre jamaïcain d’Adrian Boot -il est le co-auteur de Bob Marley-Songs Of Freedom et de plusieurs autres ouvrages marquants- mais c’est sans aucun doute son approche la plus tactile de cette île grande comme un tiers de la Belgique, mélange de fantasme tropical, de sensualité ébène et de guerres des gangs. Voilà en tout cas, dans les années 70, le décor barbelé de Babylon… où un remarquable texte signé Michael Thomas accompagne les images fiévreuses de Boot. Certaines ont déjà fait l’histoire: par exemple, celle de Marley rassemblant, sur la scène du Peace Concert de 1978 à Kingston, les deux opposants politiques Michael Manley et Edward Seaga. Deux notables blancs représentant la gauche et la droite, patrons de milices sanglantes, un moment unis par le fameux métisse christique. Boot, qui travaillera bientôt pour la presse anglaise -en particulier le Melody Maker- ne se contente pas de saisir les musiciens comme Peter Tosh, Bunny Wailer ou Burning Spear en dehors de toute pose formatée ou de photographier l’antre mystico-bordélique de Lee Scratch Perry, il capte l’essence du pays où il vit alors. Le dénuement endémique, le chaloupé des corps, l’obsession de la musique qui gravite autour des sound systems et puis tous les symptômes d’une violence qui mène l’île très près de la guerre civile fin 1976. Les rude boys y sont également, petits chefs frimeurs ou exécuteurs anonymes, face aux flics, à la répression et à la pauvreté qui enflamme le quotidien. Au milieu d’un noir et blanc naturaliste, une section d’images en couleurs donne aussi le parfum juteux de l’impossible paradis jamaïcain. l

(1) SORTI EN DEUX VERSIONS, EN FORMAT LIVRE DE POCHE CHEZ ALLIA ET EN ÉDITION AVEC PHOTOS CHEZ PATATE RECORDS.

1 MICHAEL MANLEY, BOB MARLEY ET EDWARD SEAGA. 1978, CONCERT POUR LA PAIX.

 » Blessé un an plus tôt lors d’une attaque armée, Bob Marley revenait en Jamaïque pour jouer le Concert pour la paix. Alors que le pays était au bord de la guerre civile, Bob a forcé le Premier ministre Michael Manley, pourtant peu disposé, et le chef de l’opposition Edward Seaga à monter sur scène et à se serrer la main dans un geste de paix. Ce fût un moment historique pour la Jamaïque. J’ai été chanceux: ne pouvant pas monter sur scène avec les autres photographes de la presse, je suis resté dans le public et j’ai été récompensé par ce scoop. Les autres photographes, pris dans le chaos de la sécurité et des chefs de gangs sur scène, n’avaient pas pu travailler…  »

2 BURNING SPEAR ET SA PIPE. 1979.

 » La pipe à eau était une pipe à ganja fabriquée à partir d’une noix de coco, d’un tube plastique et d’une pipe artisanale en argile. Une bouffée de cette pipe et vous étiez ratiboisé. J’ai essayé et j’ai dû m’allonger pour le restant de la journée. Spear pouvait fumer le « calice » toute la journée, sans effet secondaire visible…  »

3 PETER TOSH ET KEITH RICHARDS. 1978, STRAWBERRY HILL.

 » La photo a été prise en 1978 à Strawberry Hill dans les Blue Mountains de Jamaïque. Peter Tosh et Mick Jagger tournaient une vidéo pour le single Don’t Look Back . Le décor avait été peint par le même artiste qui s’était occupé de la maison de Lee Perry. La rumeur disait qu’il avait fauché le master original de Don’t Look Back pour le filer à Perry et que celui-ci avait été capable de mettre dès le lendemain une version dub de la chanson sur le marché populaire jamaïcain, avant que le single ne sorte en Grande-Bretagne ou ailleurs… »

4 LES FORCES SPÉCIALES DE JAMAÏQUE. 1978, EN PATROUILLE À KINGSTON.

 » A l’époque, Kingston était comme une zone de guerre, complètement effrayante, les gangsters, la police, les soldats se battant en rue de manière pratiquement continue…  »

5 LE STUDIO DE LEE PERRY.

 » Sans commentaire….  »

6 PERRY HENZELL, LE GRAND DISPARU.

 » Perry a été le créateur et le réalisateur du plus grand film jamaïcain,The Harder They Come . C’était un ami proche et l’un des meilleurs Jamaïcains, toujours franc, et un critique infatigable de la corruption. Il a ensuite réalisé le film Countryman et est mort en 2006 (à l’âge de 70 ans, ndlr) avant d’avoir pu terminer son ultime long métrage No Place Like Home . J’ai une première fois rencontré Perry en 1973 lorsque j’habitais à Port Antonio où j’étais prof de physique au lycée local. Il aimait beaucoup mes images, en fait il était mon seul fan (…). A l’époque, la plupart des Jamaïcains n’appréciaient pas mes photographies, ils auraient préféré que la Jamaïque soit présentée comme une collection de plages idylliques occupées par des touristes, heureux comme les habitants du coin, le tout saisi sur du Kodachrome brillant. Ils n’aimaient pas mes visions urbaines en noir et blanc. »

7 RASTA ET LAIT CONCENTRÉ. ST ANNES BAY.

 » Cette photo a été prise dans la cour de Burning Spear à St Annes Bay. Il était assez banal que les Dreads boivent une canette de lait hyper concentré sucré après avoir fumé des pétards. Le lait concentré était aussi mélangé avec du rhum blanc piquant sous forme de cocktail. La théorie étant que, quoique ce rhum ôtât du corps, le condensé de lait l’y remettait…  »

TEXTE PHILIPPE CORNET PHOTOS ADRIAN BOOT

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