Le grand blanc

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Après Née contente à Oraibi, Bérengère Cournut signe un roman d’aventures et de sagesse inspiré par la culture inuite. Inspirant.

Bérengère Cournut n’a pas un profil courant dans le paysage de la littérature française. Lectrice d’Henri Michaux et Blaise Cendrars, elle fait dans le roman qui emporte, le voyage géographique ou onirique -le déplacement. En 2017, après déjà plusieurs livres, celle qui fut un temps la secrétaire particulière du traducteur Pierre Leyris publiait Née contente à Oraibi. Le livre, qui suivait l’apprentissage d’une adolescente amérindienne, lui avait été inspiré par un séjour en Arizona chez les Hopis. De pierre et d’os met aujourd’hui le cap sur l’Arctique, territoire millénaire des populations inuites. Suite à une rupture de banquise, Uqsuralik est abruptement séparée de ses parents. La jeune femme se retrouve livrée à elle-même. C’est le début d’une vie libre et violente, rythmée par les saisons, la lutte avec les éléments, la cohabitation avec les animaux migrateurs, et que le livre nous donnera la sensation de mener aussi. L’adolescente nomade dort sur des tapis de mousse ou dans des igloos, se met en quête de baies et chasse à l’aide d’un couteau rond, d’une lance, d’un harpon. Sa silhouette s’agglomère à des groupes le temps d’un hiver, avant de repartir seule à nouveau. De multiples épreuves et initiations se présentent sur le chemin d’une héroïne relativement gender fluid (elle est surnommée « Arnaautuq », celle qui se livre aux tâches ordinairement réservées aux hommes) et qui assume sa part animale.  » Les femmes puissantes encourent d’abord tous les dangers« , avance le livre qui a notamment emballé Annie Ernaux. Il est intéressant de noter que, pour l’écrire, son autrice n’a jamais posé le pied au Groenland ou dans l’Arctique canadien. De pierre et d’os, qui vient de recevoir le prix Fnac (l’un des plus profitables, économiquement parlant), a été rédigé lors d’une résidence d’écriture de plusieurs mois au sein des bibliothèques du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, dans ce qu’on appelle -déclenchant aussitôt l’imaginaire des esprits romantiques- « le fonds polaire ».

Le grand blanc

Boussole

Documenté, le récit d’initiation s’accompagne d’une note d’intention (Cournut y explique n’avoir pas voulu écrire « à la place » des Inuits) et d’un cahier de photographies. Entre ces deux balises, la romancière se glisse dans une écriture bel et bien romanesque à la première personne du singulier. L’un des enjeux de ce conte ethnographique est la description -intuitive, poétique- d’un monde aux antipodes du nôtre, et dont on ne peut oublier que nos propres fonctionnements menacent chaque jour l’écologie et la beauté. La toundra, tour à tour fleurie et glacée, l’apparition des fjords dans les lumières de l’aube, l’horizon des îles, les marches dans la neige fraîche, la banquise qui scintille dans la demi-lune, les veillées chamaniques, les chants qui révèlent aux êtres leur destin: impossible de ne pas se laisser emporter. Économe, sans effets, la langue de Bérengère Cournut est une magie blanche, qui laisse passer l’âme d’un peuple au travers. Une écriture possédée, à l’image des esprits, plus ou moins farceurs, plus ou moins funestes, plus ou moins créateurs, que l’on croise dans le livre et qui révèlent l’action de forces invisibles. La lecture s’accompagne d’une perte de repères. Si elle fait trace, elle pourrait bien, comme l’espère Bérengère Cournut, devenir une nouvelle  » boussole pour notre monde égaré« .

De pierre et d’os

De Bérengère Cournut, éditions Le Tripode, 220 pages.

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