Le Désert

C’était un curieux personnage, ce John C. Van Dyke. Historien de l’art américain qui conspuait le culte de l’argent mais entretenait des relations étroites avec le milliardaire du fer Andrew Carnegie, voyageur cosmopolite soucieux des beautés les plus fragiles du monde mais refusant tout autre moyen de transport qu’un wagon Pullman, il incarnait à merveille les contradictions du savant et du penseur de la fin du XIXe siècle. Bien qu’il ait compté parmi les grands vulgarisateurs de la culture visuelle de son temps, à laquelle il avait consacré d’innombrables livres destinés à élever le niveau de connaissance (qu’il jugeait déplorable) du grand public, cela ne l’a pas empêché de se livrer à des échappées inattendues vers des lieux moins confinés que les musées ou les salles de conférences. Parmi ces lieux, celui qui lui a valu le plus de gloire est celui qui a donné son titre à l’ouvrage que les éditions Le Mot et le Reste republient aujourd’hui: Le Désert. Ni livre de voyage, ni traité scientifique, il s’agit d’une traversée subtile au creux des  » apparences de la nature« , c’est-à-dire de la manière dont un désert se donne à celui qui l’observe, le contemple, l’admire. Au fil d’une douzaine de chapitres qui constituent autant de miniatures à l’écriture travaillée et à l’acuité songeuse, Van Dyke, jouant le phénoménologue sauvage avant même que le mot ait existé, évoque les rivières, les cieux, les animaux, les plantes, les reliefs, les horizons qui s’offrent à celui (ou celle -mais c’était une autre époque) qui se piquerait d’aller y voir. Aux États-Unis, ce petit livre fit l’effet d’une révélation: soudain, les territoires qui constituaient le coeur aveugle de la jeune nation se révélaient dans toute leur splendeur, toute leur complexité. Les lecteurs de l’époque y virent un miroir où se mirer. Près d’un siècle plus tard, Jean Baudrillard, dans son portrait de l’Amérique, lui donnait encore raison: qui veut comprendre les États-Unis doit comprendre le désert.

Le Désert

De John C. Van Dyke, éditions Le Mot et le Reste, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicole Mallet, 240 pages.

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