Le débat est clos

© VINCENT EVERARTS

l’ING Art Center propose une expo fourre-tout travaillée par la novlangue corporate. Un enfumage de haut vol sauvé par la qualité des oeuvres.

Ceci n’est pas une exposition. Vous n’êtes pas un simple visiteur. Ceci est un lieu ouvert au débat, qui n’existe que par vos yeux. Vous aimez les slogans? Bonne nouvelle, vous allez en bouffer à l’entonnoir en découvrant Love.Hate.Debate. Sur place, on n’a pas pu s’empêcher de penser à la « tempête de cerveau » ayant accouché de cette fumeuse proposition. On imagine quelque chose comme:  » Dites, les gars, on ne ferait pas une expo autour de la collection, faut bien qu’elle serve à quelque chose? En plus, on l’a sous la main et c’est moins cher à monter. Question: on emballe ça comment? » Un petit génie du marketing a dû alors lever le doigt et se lancer dans une tirade visionnaire:  » Y’a qu’à imaginer quelque chose autour du débat démocratique, du sens partagé, de l’art qui invite à se parler… c’est bon, ça, non? Du citoyen, du sociétal! C’est pile-poil en ligne avec les valeurs (on imagine ledit gourou faire un geste de guillemets avec ses index et ses majeurs) de la banque. Je vois aussi une prolongation online, avec plein de codes QR, cela créera de la visibilité sur les réseaux sociaux. » Sans doute n’en a-t-il pas fallu plus pour que le package soit validé par Big Brother… enfin on veut dire la direction. C’est grave? Non, il faut juste être conscient que l’on joue dans une pièce auto-promotionnelle. Celle-ci culmine avec la partie du parcours dédiée au volet « Coll/nnection », concept signé par l’artiste Pierre Bismuth qui noue un lien entre des collaborateurs ING et des pièces de la fameuse collection d’art moderne et contemporain (quelque 2 500 oeuvres réparties sur quatorze sites). Trois vidéos lourdingues sont consacrées au témoignage d’employés ayant vu la lumière. Il revient à ces salariés réjouis de psalmodier tout le nuancier des louanges possibles quant à cette initiative leur ayant permis d’être reconnecté à l’Art avec un grand « A » -preuve évidente que l’institution bancaire n’a pas que le profit en ligne de mire.

Archipel

Ironie suprême de l’exposition, l’étage -1, plongé dans une atmosphère sombre, donne à voir Profitability (2017), une vidéo d’Ariane Loze qui tord le cou au langage et codes du monde entrepreneurial. Difficile de faire mieux en matière d’injonction paradoxale: Love.Hate.Debate intègre la critique de ce qu’elle déroule en long et en large à travers l’événement. « Fais ce que je dis, pas ce que je fais », aurait pu être un autre slogan affiché au mur. Il reste qu’il existe un mode d’emploi pour découvrir les oeuvres proposées, beaucoup d’entre elles valent le détour même si la scénographie pèche par un didactisme appuyé. Il suffit de considérer chaque pièce en elle-même, comme un archipel totalement détaché du reste. On retient le puissant Sans-souci (1991) de Christian Boltanski, images intimistes de soldats de la Wehrmacht et d’officiers SS qui fragilisent la frontière entre le bien et le mal. Il y a aussi Brugge I & II (2005), des gravures sur bois striées dialoguant avec la vidéo de Christiane Baumgartner. Ces images condensent la vitesse et l’immobilité, l’art et la surveillance. Sans oublier celles de Gabriel Orozco, Atomist: Double Stump (1996), qui empêchent d’identifier le réel à coup sûr. Là est l’art, sur ce territoire instable, indéfini, dans lequel la communication est sans cesse une tentative à reformuler. Qu’on se le tienne pour dit: l’art refuse le mot d’ordre et personne n’en aura jamais le dernier mot.

Love.Hate.Debate

ING Art Center, Place Royale, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 15/03.

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