IL A SURVÉCU À TOUS LES EXCÈS, ARRÊTÉ LA BIBINE ET LA CAME ET VIENT DE PROUVER AVEC MORE LIGHT QU’ON PEUT ENCORE AVOIR UNE RAISON D’EXISTER APRÈS 30 ANS DANS LE MÉTIER. DISCUSSION À BÂTONS ROMPUS AVEC BOBBY GILLESPIE AVANT LA VISITE DE PRIMAL SCREAM AU VOORUIT GANTOIS LE 13 NOVEMBRE.

Grande bringue aux cheveux longs et au visage maigre, Bobby Gillespie, 51 balais et un accent écossais à couper au scalpel, a bonne mine. Cela fait cinq piges maintenant que le leader de Primal Scream, jadis batteur de The Jesus and Mary Chain, a arrêté de se mettre la tête à l’envers et de se liquider les neurones avec tout ce qui lui passait sous la main et ce qu’on lui glissait sous les naseaux. Enregistré sans Mani, reparti butiner dans le jardin de ses Stone Roses, More Light est un retour éclatant et engagé aux affaires pour ce qui fut l’un des groupes les plus drogués de l’Histoire du rock -et elle en a pourtant comptés. Tandis que son tour manager file des pizzas au petit personnel des Fêtes de Lokeren, le natif de Glasgow, tout peinard dans sa loge, raconte son sevrage, son aversion pour les politiques, la confection de son dernier disque et la participation de Robert Plant… Swastika eyes.

Vous avez intitulé votre nouvel album More Light. Vu la situation économique actuelle et l’état du monde, ça ressemble plus à un appel désespéré qu’à un constat…

Oui, si tu veux le prendre comme ça. Mais c’est aussi l’idée de mettre sous le feu des projecteurs certains sujets en en parlant, en les racontant, aussi sombres soient-ils. De les soumettre au débat public. Je parle par exemple de violence domestique, d’addictions, des attaques du gouvernement sur les vraies gens du peuple. Si les mecs qui travaillent dans les galeries d’art essaient de provoquer la réflexion, nous on tente de faire la même chose mais en musique. J’espère qu’on met en lumière des sujets importants. Je ne sais pas. Je trouvais que c’était un bon titre d’album. C’est thérapeutique, non, de s’épancher sur les maux qui nous rongent?

More Light est un album en colère. L’aviez-vous déjà autant été en enregistrant un disque?

Il n’est pas habité par une colère aveugle. Une colère qui sombre. Une colère qui aboie. J’ai davantage essayé de décrire des choses qui m’interpellent. Quand on bossait sur notre album XTRMNTR sorti en 2000, j’étais déjà bien remonté. Ce disque parlait des effets des drogues sur la culture dans laquelle mes amis et moi étions plongés et de ce qu’elles nous ont fait dans les années 90. J’ai essayé de trouver les raisons pour lesquelles il y avait tant de drogues dans notre génération et une consommation si abusive. J’évoquais notamment les ramifications politiques: les gouvernements n’ont pas besoin d’armée pour neutraliser les classes populaires, ils peuvent aussi les inonder de cocaïne et d’héroïne… Enfin bref, je tentais de donner du sens à cette culture dans laquelle j’étais immergé. Ce disque évoquait aussi le meurtre, la torture, la prison, le viol… Tu écris juste des chansons qui te parlent.

Aujourd’hui, tout contenu politique et social a pratiquement disparu de la pop et du rock…

C’est vrai, mais au-delà de ça, en Grande-Bretagne, c’est toute la société qui s’est dépolitisée. C’est comme le scénario d’un film de science-fiction: les gens ne veulent pas savoir, n’ont pas d’opinion, ne sont pas intéressés. Des putains de mauvaises choses arrivent dans notre pays, une révolution est en cours. Et ils sont aveugles ou décident de l’être. Ils laissent se liquéfier tous les droits pour lesquels des syndicalistes, des anarchistes et même des artistes se sont battus. Les mecs croient que des accords, des mélodies, quelques mots et du beat suffisent pour écrire des chansons: ils se demandent ce que je sais et ce que je leur veux. Je veux exprimer mon opinion quant aux positions du gouvernement et à la manière dont les choses évoluent. Je suis un chanteur et un entertainer mais j’ai aussi un avis. Un avis que j’entends bien faire entendre. Je ne suis pas un socialiste, j’ai juste de l’empathie et je n’aime pas voir les hommes et les femmes traités comme ils le sont. Beaucoup parlent de More Light comme d’un disque politique, mais il contient aussi pas mal de chansons personnelles. Il est important d’écrire sur des choses qu’on connaît. Des choses dont on a pu souffrir. Ces morceaux explorent et discutent le chaos. Se demandent pourquoi nous sommes ceux que nous sommes.

Il y a des bons et des mauvais côtés à faire de la musique sobre et clean?

Que des bons. Tout est plus réfléchi, plus pertinent, plus précis. Notre nouveau disque est bien meilleur que les précédents. Alors si ton boulot et ta vie s’améliorent -parce que ma vie s’est améliorée-, c’est que ces efforts en valaient la peine. Ce n’est définitivement pas facile tous les jours de rester à l’écart des drogues et de l’alcool. Mais je me sens mieux dans ma peau. Il n’y a plus de chaos autour de moi. Et la sobriété ne me rend pas mal à l’aise sur scène: l’énergie du public me booste. Quand tu prends des trucs pour tenir le coup ou en espérant livrer des prestations plus intenses, tu te détruis juste le corps. Au point qu’à un moment, il finit par craquer. Je me demande moi aussi, parfois, comment j’ai pu assurer certains de ces concerts vu l’état dans lequel j’étais. Mais bon, j’étais plus jeune. Je donnais ma vie au groupe et au rock’n’roll. Ça peut sonner cliché, mais quand tu es marié, que tu as des gosses, tu envisages ton existence autrement.

En même temps, la discographie de Primal Scream est de toute évidence liée à votre consommation de stupéfiants…

Je suis d’accord. Loin de moi l’idée de donner des leçons… XTRMNTR et Screamadelica n’auraient jamais vu le jour sans came. Ou ils n’auraient pas sonné de la sorte. Les drogues peuvent t’aider, je mentirais si je disais le contraire. Screamadelica (1991), notre meilleur disque, est intimement lié à l’acid house et à l’ecstasy. On ne s’en rendait pas compte à l’époque, mais je le vois clairement aujourd’hui: c’est un album qui reflète l’air de son temps. Et ce temps-là, c’était celui de l’ecsta. Vanishing Point et XTRMNTR datent de la fin des années 90 et du début des années 2000. Plus sombres, ils sont eux aussi des disques drogués. Mais les drogues n’écrivent pas de chansons: c’est toi qui les couches sur papier, qui les composes, qui les joues. En même temps, je suis déjà paranoïaque sans en prendre. C’est un état naturel chez moi.

Avant de vous mettre à bosser sur More Light, vous saviez où vous alliez?

Le plan, c’était d’enregistrer un album de rock psychédélique, expérimental et libre. Un disque sur lequel on étirerait les chansons, manipulerait leurs structures. Sur nos deux derniers opus, nous étions dans des formats très concis. Dans des durées de trois ou quatre minutes. More Light est une réaction à tout ça: on voulait davantage jouer sur les textures. Nous ne savions pas trop comment nous allions procéder, mais instinctivement, nous avions une idée commune de là où nous allions aller. On a tout de suite su que 2013 allait ouvrir le disque. A Lokeren, on en a interprété une version raccourcie. C’est compliqué de faire autrement pendant un set de festival. Si on avait proposé le morceau dans son intégralité, ses neuf minutes comme sur album, on aurait grillé une bonne partie de notre concert.

Dans 2013 justement, vous faites référence à Margaret Thatcher. Comment avez-vous réagi à l’annonce de sa disparition?

On ne peut pas glorifier les gens juste parce qu’ils sont sous terre… Je me suis dit: « Génial, elle est morte! » Mais je n’y ai pas pensé plus que ça. Tout le monde savait qu’elle allait finir par crever, elle n’était plus de première jeunesse, hein. Et en même temps, si elle est morte physiquement, elle continue de nous hanter. Le gouvernement qui dirige le Royaume-Uni pour l’instant en est l’héritier: ce sont tous des partisans de l’économie de marché, des conservateurs, des libéraux… John Major, Tony Blair et compagnie ont terminé le travail qu’elle avait amorcé. Il n’y a pas de quoi faire la fête et danser sur sa tombe. Parce que si elle est morte, sa politique, elle, est toujours bien vivante. En fait je regrette que ce ne soit pas tout le gouvernement actuel qui y soit passé.

Vous avez convié une quarantaine d’invités à votre disque. De Kevin Shields (My Bloody Valentine) au Sun Ra Arkestra coincé à Londres par le nuage de cendres dû à l’éruption d’un volcan islandais… Que représente pour vous Robert Plant, qui jouait déjà de l’harmonica sur Evil Heat? Et comment a-t-il atterri là?

Il est l’un des plus grands chanteurs de l’Histoire du rock’n’roll. Robert est un ami à nous. Il habite en partie près des studios londoniens où on enregistrait. On avait besoin d’une voix particulière pour le morceau Elimination Blues: j’ai essayé, mais ça ne marchait pas. Pas plus qu’avec Andrew, notre guitariste. Un lundi matin, je suis arrivé très tôt dans le quartier. J’étais assis à la table d’un café quand j’ai vu Robert passer. On a un peu discuté. Il a demandé comment on allait. Et il a dit qu’on pouvait l’appeler et qu’on savait comment le contacter si on avait besoin de lui… Ce sont des choix de production. Un peu comme un réalisateur qui décide de faire appel à tel ou tel acteur.

Vous avez créé votre propre maison de disques et l’avez intitulée « First International ». Ça ressemble un peu à un appel pour que les ouvriers prennent leur destin en main…

Nous ne voulions plus bosser avec une major. De toute façon, nous aurions été perdus et négligés dans son catalogue. Sony possède tous nos putains de disques: même Screamadelica lui appartient. Les salauds! Alors ce label, je trouvais que c’était une bonne manière, moderne, de fonctionner dans le business actuel. Un moyen de garder la mainmise sur notre travail. Je ne pense pas que nous sortirons d’autres artistes que Primal Scream. First International était un supernom, qui aurait très bien pu coller à un label de soul black d’ailleurs. Evidemment, il y a une référence à Karl Marx: la Première Internationale, c’est la première fois dans l’Histoire où les travailleurs se regroupent massivement et décident de s’unir, de se serrer les coudes pour faire face aux patrons pendant la Révolution industrielle. Mais si mon père a dédié sa vie à la politique et à la lutte ouvrière, a été activiste, syndicaliste et marxiste, moi, je ne suis dans aucun parti politique, je suis juste opposé au gouvernement et à ce qui le guide. Des gens se sont fait baiser un peu partout par le politique, par des sociétés, par des banques et ça me rend malade. Je déplore qu’ils ne soient plus aussi solidaires qu’avant.

C’est dû à quoi?

Notamment au démantèlement des syndicats. Dans mon pays en tout cas, de véritables efforts ont été accomplis pour les détruire et morceler la classe ouvrière, la société même. Et faire en sorte que les gens aient moins de poids en entravant leur regroupement. Pavant le chemin pour la dérégulation, le renforcement de l’économie de marché, l’exploitation des plus faibles. La société a été atomisée, il y a de moins en moins de sens de la collectivité. Si tu es fan d’une équipe de foot ou d’un groupe de rock, tu penses faire partie de communautés en les likant sur Facebook, mais ce sont des communautés illusoires: elles sont juste un moyen pour certains de te faire raquer. Une vraie communauté, c’est quand des mecs s’associent pour un bénéfice et un intérêt communs. Les médias jouent un rôle malsain dans tout ça, la désinformation et le culte de la célébrité les gangrènent. Et comme les gens ne lisent plus beaucoup de bouquins… En même temps, j’en sais rien. Je suis juste le chanteur d’un groupe de rock.

MORE LIGHT, DISTRIBUÉ PAR PIAS.

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LE 13/11 AU VOORUIT (GAND), LE 16/11 À DIE KANTINE (COLOGNE) ET LE 22/11 AU PARADISO (AMSTERDAM).

ENTRETIEN Julien Broquet

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