Peu connu du grand public -ses films n’ont bénéficié que d’une distribution erratique sur nos écrans-, Alexander Sokurov n’a cependant pas attendu le Lion d’or de la 68e Mostra pour se signaler à l’attention des cinéphiles. De Berlin à Cannes en passant par Locarno, voilà un bon moment en effet que le cinéaste russe, 60 ans, a la faveur des plus grands festivals internationaux, occupant un continent à part de la planète cinéma, où il déploie une approche exigeante, au c£ur de laquelle l’accomplissement esthétique le dispute au désir d’expérimentation. A cet égard, L’Arche russe, sorti en 2002, peut apparaître emblématique de son £uvre, authentique tour de force consistant en une visite subjective du musée de l’Ermitage, à Saint Petersbourg; un film dont, plus que le discutable couplet nostalgique grand russe, on retiendra qu’il fut tourné en un seul plan.

Le parcours de Sokurov est tumultueux: issu du prestigieux VGIK Cinema Institute à Moscou, il tourne son premier long métrage, La Voix solitaire de l’homme, en 1978. Refusé par la direction de l’école, le film attendra près de 10 ans pour être diffusé. Ce qui n’empêche pas son jeune réalisateur d’être remarqué par Tarkovski, qui l’adoube. Entré aux Lenfilms Studios de Leningrad, Sokurov y gagne une réputation de dissident, son £uvre étant frappée de censure derechef. La roue politique tourne, cependant, et l’ouverture lui donne enfin l’occasion de sortir de son anonymat forcé. Perspective nouvelle qu’il met à profit pour tourner une adaptation singulière pour le moins de Madame Bovary ( Sauve et protège, 1989). Enchaînant ensuite documentaires et fictions, s’accommodant de conditions de production souvent précaires, Sokurov poursuit par ailleurs ses recherches formelles. L’émouvant et statique Mère et fils, en 1997, s’inscrit ainsi dans une veine purement picturale, où transparaît l’influence du romantique allemand Caspar David Friedrich.

Dans la foulée, le réalisateur s’attèle à son grand £uvre, une tétralogie sur les dictateurs, le pouvoir et la folie humaine, entamée avec un portrait fictionnel de Hitler dans Moloch, que suivront Lénine dans Taurus et Hiro-Hito dans The Sun. Librement inspiré de l’£uvre de Goethe, Faust ponctue donc cette entreprise. Le film envoie sur les routes d’une Allemagne façon début du XIXe siècle un Faust avide d’assouvir ses instincts, entreprise dans laquelle il est accompagné de son âme damnée. Vertigineuse, la mise en scène entraîne le spectateur dans un tourbillon de décrépitude, en prolongement d’une esthétique grisâtre imposant son emprise nauséabonde -l’heure est résolument à la putréfaction. Mais si le résultat est saisissant, le babil incessant qui l’accompagne et la saturation de l’espace rendent aussi l’expérience singulièrement décourageante. Pour faire sans doute écho à l’angoisse de notre temps et à ses humeurs de fin du monde, l’£uvre de Sokurov est rarement apparue aussi hermétique, Lion d’or ou pas…

J.F. PL.

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