ANDREW STANTON, LE RÉALISATEUR DE WALL-E, SE LANCE DANS L’AVENTURE DU LIVE ACTION AVEC JOHN CARTER, ADAPTATION DU PREMIER VOLUME DU CYCLE DE MARS, ÉCRIT IL Y A UN SIÈCLE PAR EDGAR RICE BURROUGHS.

Application inattendue de la loi des séries ou simple coïncidence? Quelques mois après Brad Bird, l’auteur des Indestructibles parti s’acquitter d’une Mission Impossible, c’est au tour d’Andrew Stanton, autre prodige de l’animation à la mode Pixar, et réalisateur de Finding Nemo et Wall-E, de quitter le confort des studios d’Emeryville pour se lancer dans l’aventure du live action. Et pour quel projet, encore bien: l’adaptation, maintes fois envisagée mais jamais aboutie, de A Princess of Mars, le premier volume du Cycle de Mars, né il y a tout juste un siècle de l’imagination d’Edgar Rice Burroughs, écrivain américain mieux connu comme étant l’auteur de Tarzan.

« Je pense, en soumettant ici sous forme imprimée l’étrange manuscrit écrit par le capitaine Carter, que quelques mots préliminaires ne seront pas inutiles… » (1) C’est en ces termes que Burroughs entame, en 1912, une saga qui comprendra, au final, 11 volumes. Héros de ce cycle d’aventures, John Carter est un ancien soldat confédéré qui se réveille un jour inexplicablement sur Mars (rebaptisée Barsoom), une planète agonisante où cohabitent tribus guerrières et créatures étranges, et où il va vivre les plus extraordinaires des aventures. Le riche univers mis en place par Burroughs ne fascine pas seulement des générations entières de lecteurs, il jette les bases de la science-fiction moderne: l’£uvre est révérée aussi bien par Michael Moorcock que Ray Bradbury; elle a aussi généré une abondante descendance filmique indirecte, de Flash Gordon à Star Wars et même Avatar, sans pour autant avoir jamais été adaptée en propre (on glissera un voile pudique sur le Princess of Mars de Mark Atkins, dont l’intérêt principal semble avoir résidé en la participation de Traci Lords, dans le rôle-titre). C’est dire aussi l’ampleur de la tâche qui attendait Stanton mû, de son propre aveu, « par l’enthousiasme du fan », à l’heure de convaincre Disney de lui donner carte blanche.

Pour tout dire, le simple énoncé des projets cinématographiques avortés autour du Cycle de Mars a déjà des allures de saga. Dès les années 30, Robert Clampett, directeur de l’animation sur les cartoons de Bugs Bunny, envisage une adaptation, imité, une vingtaine d’années plus tard, par le légendaire Ray Harryhausen. John Carter tombe pourtant dans l’oubli, dont l’extirpe John McTiernan dans les années 80, pour un film dont Tom Cruise serait la vedette. Las! Il faudra encore attendre une vingtaine d’années et les sorties de Episode 1, The Lord of the Rings et autre Matrix pour que le projet semble techniquement réalisable: « On a vu alors que les ordinateurs et la technologie permettaient de rendre crédibles des mondes immenses qu’il était impossible de construire réellement », poursuit Stanton. Accroché à son rêve de gosse -il a découvert la série en 1976, à l’âge de 11 ans-, ce dernier suit l’évolution du projet. Et lorsque Robert Rodriguez, Kerry Conran puis Jon Favreau s’y cassent les dents à leur tour, le réalisateur, alors en pleine production de Wall-E, fait part de son vif intérêt, avec le résultat que l’on sait: « J’avais le sentiment que si je ne m’engageais pas, le nom de John Carter n’apparaîtrait jamais à l’écran », commente-t-il, le regard pétillant.

Difficile d’imaginer plus enthousiaste que Stanton, en effet. L’entendre évoquer sa découverte de A Princess of Mars, c’est rouvrir l’album de sa propre enfance, lorsqu’on suivait Tintin sur la lune, Blake et Mortimer plongés dans L’énigme de l’Atlantide ou Phileas Fogg dans son tour du monde. « J’ai eu le sentiment de découvrir le journal non pas de quelqu’un qui aurait voyagé dans l’espace, mais d’un individu qui aurait embarqué à bord d’un bateau pour découvrir un nouveau continent dont personne n’avait entendu parler, et dont la culture millénaire, si elle était inconnue des hommes, nous paraissait néanmoins familière. Le genre de détails décrits par Burroughs donnait l’impression que quelqu’un s’était vraiment rendu sur place. Cela rendait l’histoire à ce point magique qu’un gamin de 1976 pouvait lire ce roman de 1912 et en tomber amoureux. »

Jusqu’à l’infini, et au-delà

S’agissant de continent inconnu, Stanton, conséquent, a pour sa part décidé de changer de terrain de jeux. L’option d’un film d’animation, il ne l’a même pas envisagée, explique-t-il. « Cela voudrait dire que je fais des films parce que j’aime l’animation. Mais j’aime les films, il se trouve simplement que j’ai beaucoup d’idées dont je crois qu’elles ne peuvent être traduites qu’en animation. Je ne tombe cependant pas amoureux des vêtements, mais bien de la personne, avant de choisir ses vêtements. Et certaines histoires appellent un traitement hybride. » Ainsi de John Carter. A-t-il pour autant découvert un monde en passant de l’univers virtuel des écrans d’ordinateurs aux plateaux installés dans les décors de l’Utah? Lui vous assure du contraire: « Ma plus grande surprise a été de voir combien tout cela me semblait familier. » Mais d’épingler, néanmoins, au rang des différences les plus sensibles,… la résistance physique et la spontanéité, à l’exact opposé de l’animation. « C’était génial. Comme si, tout à coup, une nouvelle partie de votre cerveau se mettait à fonctionner, et vous amenait à des réponses auxquelles vous n’auriez jamais pensé si vous aviez disposé d’un temps infini pour réfléchir. » Quant aux inévitables compromis, dictés aussi par l’ampleur de la production? « La vérité, c’est qu’on n’arrête pas de faire des compromis, en animation également. On y est aussi confronté à des délais, à des limites de budget, on doit convaincre des gens, et il y aura toujours une machine qui refusera de faire ce que vous attendez. J’étais bien armé, tant en termes de patience que de capacité à faire des compromis. »

En inconditionnel des romans, Stanton a toutefois veillé à ne pas en altérer la substance. Tout au plus, dit-il, si un léger lifting s’imposait, histoire de conformer un tant soit peu la narration aux standards de l’époque. « Les personnages étaient plutôt bidimensionnels, et ne connaissaient pas d’évolution significative, la structure narrative reposant pour sa part surtout sur l’aventure et la romance. Nous avons envisagé les romans comme un point de départ, en veillant à rendre les personnages plus complexes, et à doter l’histoire d’une structure en 3 actes, à la fois plus plausible et plus digeste pour un film. Nous n’avons pas voulu considérer la saga comme un texte sacré, mais avons veillé à en préserver le ton, sans jamais perdre de vue la sensation que l’on pouvait éprouver à la lecture des romans. Et du fait même que nous avons eu l’audace de nous en écarter, l’essence même de l’histoire est revenue. » Si les observateurs les plus tatillons regretteront la surenchère de scènes de batailles, venues sensiblement plomber le film, voilà néanmoins un blockbuster singulier, entre 2 âges si pas entre 2 mondes. Et ouvrant, qui sait, sur une nouvelle saga: « J’espère que ce film aura un effet boule de neige, et produira, sur les nouvelles générations, le même effet que le roman a eu sur moi. » Conclusion exprimée avec la foi qui déplace les montagnes, les continents et même les planètes. Jusqu’à l’infini, et au-delà, comme l’on dit chez Pixar…

(1) D’APRÈS LA TRADUCTION DE CHARLES-NOËL MARTIN, ÉDITÉE CHEZ OMNIBUS.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À LONDRES

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