Le 7e art se prête de bonne grâce aux fantaisies culinaires les plus diverses. De La ruée vers l’or à Ratatouille en passant par Le festin de Babette, retour sur un menu à services multiples.

Un tour chez Claude Chabrol ou Joachim Lafosse suffit à s’en convaincre: la scène de repas constitue souvent l’un de ces moments où le film se resserre autour de son objet, postulat qui se vérifie de Merci pour le chocolat en Elève libre. Entre le 7e art et celui de la table, les rapports sont en effet privilégiés; on en est, en quelque sorte , à Cuisine et dépendances, qu’il s’agisse de célébrer la gastronomie, ou plus simplement de s’en tenir à l’acte même de manger, avec toutes les significations qu’il peut revêtir. Chaplin l’avait bien compris, qui sut faire de la danse des petits pains de La Ruée vers l’or un authentique moment de grâce, avant de récidiver, sur un mode comico-dénonciateur cette fois, avec la machine à gaver de Modern Times.

I Scream for Ice Cream

Le rapport de l’homme à la nourriture est à l’évidence de ceux ouvrant sur les champs d’interprétation les plus féconds, ne serait-ce déjà que par son pouvoir de suggestion. De The Taste of Tea (Katsuhito Ishii) au Goût du saké (Yasujiro Ozu) en passant par La Saveur de la pastèque (Tsai Ming-liang) ou L’Odeur de la papaye verte (Tran Anh-hung), les traducteurs des titres de films asiatiques ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, qui convoquent là une gamme de sens(ations) multiples, à quoi viendra à l’occasion s’ajouter une touche d’exotisme assumé. On pense, par exemple, à Durian Durian et Dumplings, du cinéaste hongkongais Fruit Chan, dont ce pan de la filmographie pourrait se lire comme un abécédaire culinaire d’un genre particulier, puisqu’il est question, dans ce second film, de beignets farcis suivant une recette secrète et ayant l’effet d’un élixir de jouvence.

La cuisine au cinéma, c’est en effet également l’énoncé des comportements sociaux les plus divers. Dis-moi ce que tu manges, et je te dirai qui tu es, un postulat qui se vérifie dans des films innombrables. C’est Roberto Benigni y allant de son légendaire « I Scream, You Scream, We All Scream for Ice Cream » dans Down by Law de Jim Jarmusch, Robert De Niro gobant son £uf dans Angel Heart d’Alan Parker, mais encore le bouillon de nouilles de Tampopo ou le radis de De Funès dans Le Grand Restaurant -soit une infinité de déclinaisons allant de l’identitaire à la référencée, parmi d’autres.

Manger, un acte politique

De fait, à travers la cuisine s’exprime un rapport au monde, envisagé à l’échelle micro ou macro, au demeurant. Le repas de famille, cette pièce maîtresse du cinéma, hexagonal surtout mais pas exclusivement, reste ainsi le cadre idéal où se raffermit le lien communautaire, à moins qu’il ne s’y voie proprement dynamité, constat à l’£uvre aussi bien dans Un conte de Noël, d’Arnaud Desplechin que dans American Beauty de Sam Mendes ou encore Festen de Thomas Vinterberg. Au-delà, l’acte gastronomique même devient geste politique et critique sociale -c’est, évidemment, le cas fameux de La Grande Bouffe de Marco Ferreri, et de ses 4 amis qui décident de se suicider « à la bouffe »-, posant là un geste extrême en forme de procès d’une société malade de son opulence. Si manger est une pratique culturelle, c’est donc aussi un acte politique à l’écran -ainsi de la vague récente des films, documentaires ou non, stigmatisant la malbouffe (voir, par exemple, Fast Food Nation ou Supersize Me), quand il ne s’agit pas de fustiger le dérèglement de la chaîne alimentaire, au c£ur de films comme Our Daily Bread ou We Feed the World. Ainsi aussi d’une autre série de films consacrant pour leur part le bien manger -qu’il s’agisse de Julie & Julia, ou bien sûr, de Ratatouille, venu démontrer qu’il n’était aucun domaine, pas même l’animation, pour échapper à cette fièvre culinaire.

Ce qui nous ramène, du reste, à l’essentiel, à savoir le plaisir. Le cinéma et la cuisine, c’est avant tout une Affaire de goût, que ne se sont fait faute de célébrer, avant Soul Kitchen, des films aussi différents et succulents que Salé sucré de Ang Lee, Le Festin de Babette de Gabriel Axel, Pranzo di Ferragosto de Gianni Di Gregorio ou autre Big Night de Stanley Tucci. Un menu à déguster sans modération, encore que -on n’est pas près, à vrai dire, d’oublier l’apothéose du Sens de la vie.

Texte Jean-François Pluijgers

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