RÊVEUR EXCENTRIQUE, INADAPTÉ POÉTIQUE, KATERINE SE LA JOUE PIANO VOIX SUR UN DISQUE, LE FILM, MARQUÉ PAR LE DÉCÈS DE SON PÈRE. KAT POWER…

Il a la poignée de main molle, le bonjour nonchalant et le sourire narquois. Ce que l’on prendrait chez les autres pour de la prétention ou de la condescendance est chez Philippe Katerine de la douceur. La douceur d’un mec dans son monde. Phénix lunaire qui a sniffé les cendres de son père (c’est une image, Keith) pour renaître pianiste… Avant son concert au Cirque Royal, discussion forcément surréaliste avec un papa quadra qui adore se réinventer, regarder danser les gens et dessiner ses enfants.

Comment est né ce drôle de Film?

J’ai écrit des textes, dessiné dans un petit cahier. Et quand je suis rentré chez moi, j’ai mis ces mots en musique. Ça coulait de source. Ce n’était pas vraiment un journal intime, parce que je ne disais pas bonjour à mon journal, mais j’écrivais directement des petites poésies. J’appelle ça de la poésie. Pourquoi pas? Je les ai très peu retouchées en fait. Ça marchait comme ça, en les chantant. Après la mort de mon papa, il fallait que je fasse quelque chose de mes mains, de ma tête. Il fallait que je trouve un espace pour vivre. Ce n’est pas un album de deuil. C’est un disque qui parle de retrouver sa place dans le monde, de vie après la mort.

Le piano, il arrive quand?

Il y avait un piano chez moi qui ne m’appartient pas. Il était là et je n’avais jamais joué dessus. Je l’ai regardé. Il m’a regardé. Je me suis assis devant et j’ai commencé à jouer. Je ne joue jamais moi. Alors, je faisais des petites danses avec mes doigts. En les écartant. Des mini-chorégraphies. Je n’avais pas écrit ces textes en prévision de chansons mais c’était de la rime. Tout marchait bien ensemble.

Vous avez déclaré: « Le Film est l’album au piano d’un type qui n’en joue jamais. » Ça a des avantages?

Bien sûr. Les vertus du novice. La chance du débutant. Je n’ai pas beaucoup exploré en même temps. Ces nouvelles sonorités m’ont emmené vers de nouvelles mélodies. Souvent, c’est à la guitare que je compose mes chansons. Le piano est plus littéraire. Avec le piano, on laisse davantage de place aux mots et comme le texte était le socle sur lequel je m’appuyais, ça tombait plutôt bien. On a ajouté très peu d’instruments.

Vous avez pensé à des gens comme Charles Trenet?

J’aurais adoré un disque de Trenet où il joue du piano. Mais il n’y en a pas. A chaque fois, c’est un orchestre. Trenet, il passait juste une heure en studio chanter ses chansons et puis il s’en allait. Ma façon de jouer est très maladroite mais je me suis dit que ça pouvait avoir son petit charme. Je ne me pose jamais la question d’à quoi ça ressemble. Sinon, t’en finis pas…

Il y a dix ans, vous sortiez Le 20.04.2005, une chanson dans laquelle Marine Le Pen vous poursuit. Ce morceau est encore plus inquiétant aujourd’hui…

Clair qu’elle a grandi depuis. Elle a pris une ampleur qui n’était pas la sienne. Oui, Marion est plus jolie. C’est tout le noeud du problème. Il ne s’agit pas forcément de gens antipathiques. Ce qui est encore pire. Enfin, pas antipathiques… Je veux dire que de plus en plus de monde leur ressemble. Cette chanson sonne juste aujourd’hui parce que Marine nous poursuit et que ça en devient monstrueux.

Tant qu’on parle d’angoisse, le Bataclan, ça vous a secoué?

Il y a eu un avant et un après. Tu rentres dans une salle maintenant, tu commences par regarder où sont les issues de secours. C’est devenu terrible. Tu ne peux plus, non plus, monter dans le Thalys sans billet au dernier moment. C’est fini ce temps-là. Donc, il y a une espèce de nostalgie. Mais bon, on ne peut que continuer.

C’était jouissif d’incarner au cinéma un président de la République (dans Gaz de France de Benoît Forgeard)?

C’était un président assez mesuré et placide mais c’était marrant. D’autant que ça ne me convient pas. Je ne me sens pas du tout l’âme d’un chef d’État. C’est ce qui est bien au cinéma. Ça me rappelle cette émission de télé: Vis ma vie. C’est un peu ça. J’adore ce film en tout cas. Si j’en étais un, quelles mesures je prendrais? La gymnastique le matin. La sieste obligatoire pour expier l’inconscient collectif dans les rêves. Je permettrais aussi aux bars d’ouvrir toute la nuit.

Il paraît que votre papa était déjà le sujet de votre premier morceau?

C’était une chanson de situation. J’étais très jeune. J’avais dix ans. On était en bagnole. Et ça donnait: « Il a peur de s’arrêter devant les pâtisseries. Il a peur. Peur. Peur. » Il n’y avait pas de couplet. On la chantait jusqu’à l’étranglement. Il a fini par stopper devant une boulangerie. C’est là que j’ai découvert les pouvoirs de la chanson. Mon père avait pas mal d’humour, de fantaisie. Il avait des phrases toutes faites comme: il ne faut pas se moquer des riches, on ne sait jamais ce qu’on peut devenir. L’humour, le jeu ont fait partie de mon éducation.

Vous avez invité une chorale catholique sur votre disque?

Le Film est un disque des familles. Je m’y retrouve à la fois fils et père. Ça me paraissait naturel qu’il y ait des collégiens, cathos comme je l’ai été. Ça me touche. Petit, j’ai été choriste. J’aimais bien. J’avais une voix très pure. Ce qui me reste de cette éducation? Le goût de l’ambiguïté. On ne sait jamais vraiment. Bien sûr, il y a les dix commandements mais il y a toujours des interstices pour pouvoir tricher, pour pouvoir se masquer, pour l’hypocrisie. Ça procure beaucoup de charme à cette religion. Chez les cathos, il y a quand même l’idée du pardon et du confessionnal en permanence. On peut tout avouer et une faute avouée est à moitié pardonnée. C’est extrêmement pratique.

Vous avez à nouveau bossé avec Julien Baer. Vous êtes devenus inséparables?

On a fait beaucoup de choses ensemble ces derniers temps. Trois livres pour enfants notamment. Je me suis aperçu que c’était l’homme de la situation pour les chansons que j’avais en ma possession. Parce que lui allait me dire de m’arrêter, de me retenir, de ne pas en faire trop, d’éviter une forme d’emphase que j’avais déjà testée et qui ne convenait pas du tout à ces nouveaux morceaux. Ils nécessitaient l’intimité, la pénombre. L’Eloge de l’ombre. Je cite ce bouquin parce que c’est le côté japonais de Julian Baer. Un seul geste suffit. Mais il faut que ce soit le bon. On a enregistré chez lui, dans son appartement. Je joue en même temps que je chante. Il y a des erreurs, des petits dérapages. Parfois ça ralentit. Parfois ça accélère. C’est la vie qui est au travail. Il y a de la visite de temps en temps. Des fois, on ouvre les fenêtres…

Votre rapport au dessin est différent de celui que vous entretenez avec la chanson?

Les chansons c’est quand j’ai un besoin pressant. Parfois, pendant un an, je n’en écris pas. Mais le dessin, c’est presque quotidien. C’est de l’observation, de la prise de contact. J’aime dessiner les gens pour être vraiment en eux. Parce qu’on les comprend bien les gens quand on les dessine. Je ne fais pas de la morphopsychologie mais quand tu formules quelqu’un, il y a des choses qui se révèlent. Le disque s’appelle Le Film mais c’est aussi un livre. A l’intérieur, j’ai glissé plein de dessins de mes enfants. Je les dessine souvent. C’est bien plus intéressant qu’une photo.

Vous dites avoir ressenti des envies de meurtre après le décès de votre papa?

Oui, il paraît que c’est assez courant. On a envie de violence, de faire payer quelqu’un. Alors c’est vrai, je voulais faire payer quelqu’un dans la rue. Mes poings remuaient dans mes poches. J’ai suivi un type. Je me suis dit: « Oh la la qu’est-ce que je suis en train de faire? » Je me suis retenu et je suis parti.

Des disques, des films vous ont fait du bien?

J’ai beaucoup écouté le dernier Sufjan Stevens sur un thème pas très éloigné du mien. C’est un disque très fort. Un disque qui me tenait au chaud. La BD Catharsis de Luz, de Charlie Hebdo. C’est un autre registre de réapprentissage, de reconstruction. Un film aussi comme Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers. C’est pareil. Le personnage principal perd sa copine et essaie de continuer à avancer.

Vous avez fini par vous dire que Brel, c’est pas si mal…

Brel montrait ses sentiments sans aucune pudeur. Chose que je ne supporte pas. Enfin, que je ne supportais pas. Ni faire, ni voir. Il y a plein de chanteurs comme ça. C’est une grande tradition de la chanson. Moi, je ne réfléchis pas quand je fais un disque. Je le fais et puis voilà. C’est après que je réalise. Quand j’ai réécouté Papa ou Les Objets, je me suis dit: « Ah ouais, j’ai montré mes sentiments sans filtre. » Ça m’a un peu perturbé. Mais après, je me suis dit: « Tant pis, c’est comme ça. » Brel avait sans doute raison. Moi ce qui m’intéresse dans le fait de faire des disques, c’est d’être surpris par moi-même, d’aller dans l’inédit, dans l’inconnu. C’est ça qui me motive. Et si ça semble contredire ce que je pensais comme un petit con, tant pis. Sur scène, je serai avec une pianiste exceptionnelle qui vient du classique. Ce sera autre chose. Je voulais avoir les mains libres. Comme Brel. Que je puisse les agiter. J’aime pas trop non plus l’idée de jouer d’un instrument devant les gens. Ça me gêne. Je serais resté le nez sur mon clavier. Ça aurait été chiant pour tout le monde.

C’est quoi l’idée du dernier morceau de l’album qui semble le rembobiner?

Les gens qui ont frôlé la mort disent qu’on voit sa vie défiler juste avant de partir. Moi, je me suis fait opérer du coeur très jeune. J’ai revu toute ma vie mais j’avais pas long à faire parce que j’avais huit ans. Tu ne choisis pas vraiment ce que tu vois en plus. Si je ferme les yeux, je vois un magasin de chaussures et mon fils qui essaie une godasse. Ça peut être juste ça. C’est pour ça que j’ai rembobiné au hasard. Comme faisait parfois Godard quand il montait ses films.

La Nouvelle Vague a été importante pour vous?

Ah ouais. J’avais 16 ou 17 ans. Je commençais la musique. J’aimais bien. On n’est jamais tranquille dans la Nouvelle Vague. Il y a toujours des surprises. C’est pas un long fleuve tranquille. Et puis, c’est cheap aussi des fois. On sent qu’il n’y a pas beaucoup de moyens mais il y a une liberté folle. Tout ça m’emballe. Puis, il y a plein de Nouvelles Vagues. Je pense aux deux premiers films de Milos Forman, qui sont délicieux. Il y avait quelque chose d’éternellement jeune.

Cette liberté folle semble avoir guidé votre carrière…

On la recherche mais on tape quand même contre un mur la plupart du temps. Le mur de nos propres limites. Faut bien se l’avouer hélas.

Vous n’aviez pas tourné avec l’album Magnum?

Je n’en pouvais plus. Je ne supportais plus ça. Mes enfants étaient tout petits. Ce n’était pas ma place. Les bus, les balances, le catering, je n’en pouvais plus. Je me suis arrêté pendant trois ans. Ça m’a fait beaucoup de bien. La musique n’est pas un métier d’habitude, de routine. J’ai travaillé à la chaîne une fois, c’est bon…

Vous êtes allé faire un tour à Nuit Debout?

Non, je ne suis pas un fana de rassemblement, de manifestation. De débat non plus. J’aime bien assister mais pas participer. Et si tu y vas sans participer à quoi bon? Par contre, je trouve ça incroyable. Les gens s’y parlent comme ils ne se sont probablement jamais parlé.

KATERINE, LE FILM, DISTRIBUÉ PAR PIAS.

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LE 21/05 AU CIRQUE ROYAL (NUITS BOTANIQUE).

RENCONTRE Julien Broquet

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