LEONARD COHEN A PRIS 7 ANS POUR LIVRER SON NOUVEL ALBUM, LE DÉLICIEUX OLD IDEAS. MÊME SANS ÊTRE UN SEPTUAGÉNAIRE ESCROQUÉ PAR SA MANAGER, ON PEUT TOMBER EN PANNE DISCOGRAPHIQUE. DEMANDEZ À PETER GABRIEL, JIMMY SCOTT OU AXL LE DINGUE.

Leonard peine à surmonter sa dépression nerveuse survenue après un long séjour de zenitude dans un monastère bouddhiste de Californie, lorsqu’il apprend que sa fortune perso s’est évaporée. Le 8 octobre 2005, il annonce que sa manager Kelly Lynch a confisqué 5 millions de dollars de son fonds de pension, lui laissant des miettes chiffrées à 150 000 dollars. Cas d’escroquerie devenu cas d’école: malgré la condamnation de l’indélicate Madame Lynch, le poète mélancolico-canadien au parcours de playboy ironique ne reverra pas un sou de son épargne-retraite, se retrouvant -relatif- va-nu-pieds financier. La suite est connue: le come-back scénique triomphal de Cohen en 2008 est prolongé jusqu’en 2010 et précède la parution d’ Old Ideas le 31 janvier 2012, soit 7 ans 3 mois et 5 jours après le pénultième album studio, Dear Heather. Pour info supplémentaire, Old Ideas n’est jamais que le 12e disque de Leonard depuis 1967: un tempo de tortue royale.

Paralysie mégalo

Le délai reste modeste si on considère les 17 années (…) qui séparent les 2 livraisons jumelles de Guns N’Roses, Use Your Illusion I et II, parues en septembre 1991 et l’album suivant de matériel original, Chinese Democracy, déboulant le 23 novembre 2008. Entretemps, fin 1993, un médiocre disque de reprises douteuses baptisé The Spaghetti Incident? donne un bref moment l’illusion de groupe productif. La question valide est donc: pourquoi pratiquement 2 décennies pour boucler un album – Chinese Democracy– par ailleurs assez peu mémorable? L’hypothèse Focus semble, elle, assez raisonnable: Axl Rose, chanteur névrotique élevé dans une famille de culs-terreux bigots de l’Indiana -il ne verra jamais son père biologique assassiné en 1984- est absolument ingérable. Entre l’implosion de son groupe de camés et sa misanthropie génétique, les prestations annulées à la 13e heure provoquant des émeutes (Vancouver) et l’incapacité notoire à gérer une carrière, crac boum hue, 17 ans sont passés.

Peter Gabriel va mettre 10 ans à sortir un successeur à Us, carton métaphysique -il y parle de sa relation fusillée avec Rosanna Arquette- sorti en 1992. Même s’il bidouille entre-temps 2 B.O., cela fait long. Au début des années 2000, on visite le studio perso de Gabriel près de Bath, alors que tout le monde se demande franchement ce qu’il glande après Us…: autour de la console de mix, des dizaines de post-it avec des titres de morceaux, des idées, des chakras, des bazars, des hypothèses. Là, on comprend qu’avoir toutes les cartes en mains -Gabriel est devenu financièrement indépendant avec So en 1986- n’est pas forcément une sinécure. Si tout est possible, où s’arrêter, où finir un album attendu comme le nouveau Prozac planétaire? D’où le sentiment purement organique d’entendre, au final, des disques tellement labourés sur Pro Tools qu’ils ont perdu toute notion d’urgence, de nécessité, de musique ancrée dans l’électricité immédiate de l’époque.

Pannes punks et glam

Alors bien sûr, les exemples de carrières bizarroïdes en montagnes russes sont innombrables. On pense à ce génial chanteur américain à la voix mutante, Jimmy Scott, auteur de 15 albums studios entre 1955 et 2011. N’enregistrant pas pendant 15 ans (1975 et 1990) par pur effet de mode, il incarne parfaitement les pannes de popularité, quand on vous range prestement dans le tiroir de l’amnésie publique. Seize ans sans disque studio pour Gang Of Four, 14 pour les Buzzcocks, 20 si Public Image revient en 2012: le rock agit comme un antibiotique à retardement. Effet période iPod: dans les années 60-70, les groupes publient à cadence soutenue, au moins un album studio par an! Ainsi, David Bowie propose 10 LPs (dont un de reprises mutantes) entre The Man Who Sold The World (novembre 1970) et Heroes (octobre 1977). Une fabuleuse profusion de grande inventivité, aspirant et réinventant les styles, qui va peu à peu s’éteindre, bougie fatiguée, au cours des années 80-90. Son dernier opus, Reality (septembre 2003) est jusqu’ici resté sans successeur: David ayant subi une angioplastie d’urgence à l’été 2004, il tient là un mot d’excuse. Mais 7 ans et demi plus tard, cet accroc cardiaque -survenu à un grand fumeur- devrait être oublié. Quand on possède une fortune évaluée à 510 millions de livres, il semble peut-être difficile de se confronter à sa propre légende artistique. Point commun à tous les traînards, de Leonard à Peter. l

TEXTE PHILIPPE CORNET

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