Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

BIEN QU’IL AIT DÛ RENONCER À JOUER DU SAXOPHONE DEPUIS QUELQUES ANNÉES, SONNY ROLLINS N’A PAS DÉSERTÉ L’ACTUALITÉ DU JAZZ, COMME NOUS LE RAPPELLE CE COFFRET.

Sonny Rollins

« 5 Original Albums »

PRESTIGE/ THE JAZZLABELS 7236399 (UNIVERSAL)

9

Depuis le décès de Toots Thielemans, Walter Theodore « Sonny » Rollins (86 ans) est, avec le batteur Roy Haynes (de cinq ans son aîné), le dernier musicien encore en vie à avoir joué avec Charlie Parker. Il avait alors 22 ans et ne s’était guère ému de côtoyer, pour trois titres d’une séance de Miles (1), le mythique Bird, caché lors de cette session sous le pseudonyme transparent de Charlie Chan. Inventeur avec quelques autres (dont Horace Silver, Max Roach, Art Blakey, Clifford Brown, Miles Davis, Thelonious Monk) du hard bop, Sonny Rollins reste le musicien de jazz qui aura (un temps) idéalement symbolisé ce que peuvent être la liberté et la créativité au sein des contraintes d’un genre qu’il a pourtant exploré en le récurant de la cave au grenier -même s’il ne l’a que rarement remis en question.

Formidable styliste au souffle inépuisable dont la profondeur de jeu comme la rondeur du son, pourtant inimitables, n’ont jamais cessé d’influencer tous ses confrères à un moment ou un autre de leur carrière (de Coltrane à David S. Ware en passant par Frank Lowe ou Brandford Marsalis, notamment), Rollins, avec Coleman Hawkins (son idole), Lester Young et John Coltrane, est rien de moins que l’un des quatre plus grands saxophonistes de l’histoire du jazz. Malgré deux congés sabbatiques de quelques années pris à la fin des années 50 et 60, il n’a jamais cessé d’enregistrer tout au long d’une carrière qui couvre plus de six décennies.

Les cinq albums repris dans ce coffret à la présentation minimaliste appartiennent tous aux années 50, époque à laquelle Rollins, quoi qu’il ait pu faire ensuite, reste toujours étroitement identifié. Leurs dates d’enregistrement vont de 1951 (la première moitié de With the Modern Jazz Quartet) à 1956 (Tenor Madness, Saxophone Colossus) en passant par 1953 (l’autre partie de With the MJQ), 1954 (Moving Out) et 1955 (Work Time), même si leur première édition en LP date pour tous de 1956. Si l’ensemble est d’une formidable qualité, deux albums se détachent en particulier: Tenor Madness où Rollins, soutenu par la rythmique du quintette de Miles, se livre avec John Coltrane à une royale bataille sur le titre qui a donné son nom à l’album et, surtout, le séminal Saxophone Colossus, son chef-d’oeuvre absolu où il offre en quartette (Tommy Flanagan au piano, Doug Watkins à la basse et Max Roach, son ex-leader, à la batterie) de magistrales versions de compositions flamboyantes (St. Thomas, Strode Rode, Moritat, Blue 7) flanquées d’un standard qui ne les déparent pas (You Don’t Know What Love Is). Dans une forme physique et mentale éblouissante depuis qu’il s’est débarrassé de ses addictions, Sonny Rollins y délivre quelques solos de ténor définitifs au sein d’un des albums qui incarnent depuis le son du jazz moderne.

(1) MILES DAVIS COLLECTOR’S ITEM (ENREGISTRÉ EN JANVIER 1953 ET PARU EN 1956) SUR TROIS TITRES, THE SERPENT’S TOOTH (DEUX PRISES), ‘ROUND MIDNIGHT ET COMPULSION.

PHILIPPE ELHEM

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content