EN 2009, DISIZ LA PESTE CLAQUAIT LA PORTE DU RAP BUSINESS. TROIS ANS PLUS TARD, REQUINQUÉ PAR LES ÉCRITS DE MALCOLM X ET… TOLSTOÏ, LE RAPPEUR FRANÇAIS OPÈRE UN COME-BACK SPECTACULAIRE!

Sur son pull, Disiz la Peste arbore le même coeur que sur la pochette de son disque, incrusté dans le drapeau du Japon impérial. « C’est en effet inspiré des kamikazes nippons qui allaient se faire sauter pour une cause qu’ils pensaient juste. Moi, je suis un kamikaze de l’amour. Ça fait très hippie de dire ça, je sais bien, mais c’est réel. Le fait de mettre un coeur sur la pochette, de me montrer tel que je suis, de porter avec force des valeurs comme l’amitié, l’amour de son prochain… Il y a un côté kamikaze à tenir ce genre de discours aujourd’hui. Surtout quand on est un rappeur. »

Tête brûlée, Disiz? Décalée en tout cas. Comme il l’a toujours été finalement. En 2000, premier carton avec J’pète les plombs: le bonhomme est déjà dans le second degré. Quitte à passer pour le comique de service -case tellement pratique pour ranger ceux qui ne foncent pas tête baissée dans les clichés ghetto (demandez à James Deano…). A un moment, à force de jouer la marge, il se met lui-même hors-jeu: en 2009, dégoûté par le milieu du rap, il sort Disiz The End, censé signer ses adieux au hip hop. « C’était vraiment une période très amère, très sombre. Toutes proportions gardées, je suis passé par des trucs très durs. On a voulu me racketter, j’avais des problèmes d’argent… Je m’en suis sorti tout seul, je n’ai pas cédé. Mais cela a laissé des traces. Je me sentais coincé: d’un côté, l’industrie du disque et son fonctionnement de plus en plus cynique; de l’autre, les gens que j’étais censé représenter qui s’attaquaient à moi. J’étais pris au piège. J’ai voulu envoyer tout péter. » Coup de bluff? L’homme tient parole avec Dans le ventre du crocodile, disque « rock » qui le voit se laisser pousser les cheveux, et prendre le pseudo de Peter Punk. Et fait un four… « A posteriori, c’était un peu maladroit. Mais au niveau artistique, cela m’a pas mal apporté. »

Retour sur les bancs

Aujourd’hui, il revient donc à ses premières amours avec Extra-Lucide, 2e étape discographique d’une trilogie annoncée. Un retour en beauté, par la grande porte: on peut discuter certaines options musicales, mais il est difficile de lui contester un souffle, une authenticité, et une ambition qui manquent trop souvent dans le hip hop français. Né Serigne M’Baye Gueye en 1978, d’une mère belge et d’un père sénégalais, Disiz a mûri. Et ce n’est pas forcément un gros mot. Au fond du trou après l’échec de l’épisode Peter Punk, il a passé son bac, repris des études de droit, donné des cours de théâtre à des élèves en réinsertion scolaire… « Le bac, il me le fallait, ne serait-ce que pour être cohérent par rapport à mes enfants, pour pouvoir leur dire de bosser à l’école. Après, ce sont des petits combats personnels, peut-être sans but et inutiles, mais qui à toi te font un bien fou. Il n’y a pas de gloriole là-dedans. Le plus dur, c’est d’être une « personnalité publique », et de retourner sur les bancs. Mais en même temps, ça a fait beaucoup de bien à mon ego. Prendre le train, se lever aux aurores pour aller bosser, avoir une vie normale… »

A un moment, il pense se consacrer à la religion (l’Islam). Puis la machine se remet en route. Lentement mais sûrement. Autodidacte auteur de deux romans (le dernier en date, René, est sorti aux éditions Denoël, début d’année), Disiz détaille: « Il n’y a pas eu de déclic en tant que tel. C’est une succession de choses, un cheminement de pensée… Si je dois être honnête, cela part d’une explosion spirituelle. En relisant l’autobiographie de Malcolm X, d’une part, et en découvrant Ma confession de Tolstoï, de l’autre. C’était l’été 2011. J’ai beaucoup pleuré. Mais de joie, comme si je trouvais des clés en moi… » Le premier l’impressionne par son honnêteté, sa complexité, la manière dont il s’ouvre sur ses erreurs, ses errements. Le deuxième le fascine dans la relecture radicale qu’il fait des Evangiles. « J’avais une image de grand auteur, forcément bourgeois, alors que c’est tout l’inverse: il était avec le peuple, donnait cours aux moujiks. Ses écrits ont inspiré des gens comme Gandhi! »

Le règne de la quantité

Il y a donc une happy end à l’histoire. Classé tricard, Disiz sort un EP en autoproduction au début de l’année, distille d’autres titres sur son Facebook (Le poids d’un gravillon, qui repique les notes de synthé du Midnight City de M83). De retour dans le rap, il trouve directement une nouvelle audience. Et bientôt, les maisons de disque sont de retour… « Au départ, je pensais toutes les envoyer bouler. Et puis mon bras droit, Mourad, m’a rappelé qu’il m’avait découvert en écoutant Skyrock, que cela n’avait pas de sens de rester dans son coin. Du coup, on a fait une licence. Je gagne un peu moins, mais j’ai le final cut sur tout ce qui est artistique, stratégique… »

Symbole de ce renouveau, le titre Best Day et son clip en forme de célébration –« j’offre des cadeaux aux gens que j’aime, rassemblés autour d’une table. Ce sont mes vrais amis, et de vrais cadeaux, pas des placements de produit comme l’avait un moment imaginé ma maison de disques… ». Le morceau illustre bien le ton général du disque, positif et accessible. Bienveillant aussi, sans gommer toute complexité. « J’ai réussi enfin à me détacher du regard de l’autre, de ce règne de la quantité dans lequel on vit, où il faut vendre, faire de l’argent pour exister. Ce qui m’intéresse c’est la qualité. Mon domaine est là. Que cela marche ou pas, je ne peux de toutes façons rien y faire. »

?DISIZ LA PESTE, EXTRA LUCIDE, DISTR. DEF JAM/UNIVERSAL. EN CONCERT, LE 10/02, ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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