AVEC SILS MARIA, OLIVIER ASSAYAS SIGNE UN SOMPTUEUX PORTRAIT DE COMÉDIENNES TOUT EN PRENANT LA MESURE DU TEMPS QUI FUIT.

Sils Maria

D’OLIVIER ASSAYAS. AVEC JULIETTE BINOCHE, KRISTEN STEWART, CHLOË GRACE MORETZ. 2 H 04. DIST: COMING SOON.

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« J’ai parfois le sentiment de faire toujours le même film, ou de ne jamais en avoir tourné qu’un seul, dont chaque film serait une facette« , nous confiait Olivier Assayas en août dernier, à la faveur de la sortie de Sils Maria. Et de fait, ce dernier entretient avec sa filmographie des correspondances fécondes, faisant écho aussi bien à Irma Vep, tourné il y aura bientôt 20 ans avec Maggie Cheung, qu’à Rendez-vous, dont il écrivait le scénario en 1984 avec André Téchiné. Juliette Binoche y interprétait une actrice débutante dans l’attente angoissée d’un premier grand rôle. On la retrouve aujourd’hui, son parcours en filigrane, sous les traits de Maria Enders, comédienne accomplie à qui un metteur en scène propose de reprendre la pièce qui l’avait fait connaître, 20 ans auparavant, en un ultime hommage à son auteur, récemment disparu. Mais là où elle incarnait autrefois Sigrid, une jeune ambitieuse poussant Helena, une femme plus mûre, au suicide, elle camperait aujourd’hui cette dernière, en un troublant passage de l’autre côté du miroir. Et la matière du fascinant jeu de rôles s’insinuant bientôt entre elle, son assistante Valentine (Kristen Stewart), et sa future partenaire Jo-Ann Ellis (Chloë Grace Moretz), sur arrière-plan de la fuite inexorable du temps…

Si son film évoque, par son sujet, le All About Eve de Mankiewicz, Olivier Assayas fait toutefois oeuvre toute personnelle, s’installant dans un espace poreux où cohabitent réel et création, et où dialoguent passé et présent, en une mise en abîme subtilement pénétrante. Sils Maria s’avère tout autant scintillant portrait de comédiennes (Juliette Binoche et Kristen Stewart y sont brillantes) que réflexion existentielle; et s’il est inscrit dans un paysage renvoyant à la culture européenne classique, c’est comme pour porter un regard plus aiguisé sur l’industrie hollywoodienne, et au-delà, sur un monde contemporain en mode hyper -connecté ou médiatisé. On mesure là l’étendue du propos, s’écoulant avec fluidité dans les allées du temps.

L’édition Blu-ray du film propose deux bonus passionnants. L’interview du réalisateur par Olivier Père le voit s’étendre sur les enjeux du film, mais aussi sur sa conception du Septième art. « Le cinéma est fait pour représenter le monde dans sa complexité, y compris dans ses contradictions, et certainement pas pour définir des réponses toutes faites, ou poser des convictions bétonnées. C’est l’art du doute, de l’interrogation du monde. Le cinéma est l’art de la dialectique avant toute chose » -précepte dont Sils Maria offre une magistrale application. S’y ajoute, cerise sur le gâteau, Le Phénomène nuageux de Maloja, court métrage documentaire réalisé par Arnold Fanck en 1924 dans la vallée de l’Engadine, cadre tout sauf indifférent de ce somptueux bal des actrices…

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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